C’est une femme à qui il ne faut pas raconter d’histoires. Katja Lange-Müller connaît Berlin des deux côtés, l’Est, où elle est née, en 1951, l’Ouest, où elle s’est réfugiée, en 1984. Elle habite Wedding, un quartier encore populaire de la capitale allemande, gagnée par la gentrification. On y croise des femmes âgées qui fument en marchant dans la rue, un sac en plastique à la main. Katja Lange-Müller fume aussi, dans le salon de son appartement sans chichis. Elle a la voix rauque, le rire éclatant, et elle est chaleureuse comme savent l’être les gens de l’ex-Allemagne de l’Est.
Elle nous montre son dossier de la Stasi, la police politique de la République démocratique allemande (RDA), qu’elle a récupéré après la chute du Mur, en 1989. « Quatsch » (« n’importe quoi »), « Idiotisch » (« stupide »), dit-elle en feuilletant les pages. Sur l’une d’elles sont reproduites les photos d’une quinzaine d’adolescents. Si jeunes qu’on dirait des enfants. « On s’était retrouvés chez un marchand de glaces pour échanger des disques des Beatles, et l’agent de la Stasi écrit qu’on échafaude des plans pour passer à l’Ouest. »
Katja Lange-Müller rappelle qu’un habitant sur trois travaillait pour la Stasi, d’une manière plus ou moins formelle. Sa mère approuvait. Elle s’appelait Inge Lange (1927-2013). Communiste convaincue, elle est une des rares femmes à avoir occupé des fonctions dans les plus hautes sphères de la RDA. Dès qu’elle a pu, Katja a rompu avec elle. Mère et fille ne pouvaient pas s’entendre. L’une était obsédée par sa carrière, l’autre insolente. Elle était encore à l’école quand elle a reçu son premier avertissement, parce qu’elle faisait rire ses copines en imitant la voix haut perchée d’Erich Honecker, le numéro un de la RDA (de 1971 à 1989).
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