LA LISTE DE LA MATINALE
Cette semaine, la littérature a des visions. Le chef-d’œuvre de l’écrivain iranien Sâdeq Hedâyat (1903-1951), transe opiacée sublimée par une nouvelle traduction ; l’unique roman de l’Américaine Emily Holmes Coleman (1899-1974), récit expérimental d’une psychose ; le premier recueil de poèmes de la chanteuse et écrivaine Clara Ysé, entre ombre et lumière ; une biographie de Coco Chanel, par le journalise Jean Lebrun, pour débusquer la réalité tapie derrière le mythe ; le dernier tome, enfin, des enquêtes du Département V du Danois Jussi Adler-Olsen, pour boucler la boucle d’une affaire qui hante cette série policière depuis son premier volume.
ROMAN. « La Chouette aveugle », de Sâdeq Hedâyat
Pour voyager à travers la scansion syncopée de La Chouette aveugle, chef-d’œuvre de l’écrivain iranien Sâdeq Hedâyat, publié à Bombay en 1937 pour échapper à la censure, puis à Téhéran, sa ville natale, en 1943, il faut accepter d’ondoyer entre les réalités simultanées d’une voix qui fait scission et sécession. Cette transe opiacée, roman fétiche des surréalistes, se lit – se fume dans les vapeurs d’une prose subliminale. Tout commence dans une faille entre une étagère et un mur. Le narrateur y reçoit une visite : un vieillard accroupi, et une jeune fille lui tendant un volubilis. Puis la miniature devient réalité. Le jour où la demoiselle s’invite dans son lit, il la découpe « en mille morceaux ». Ensorcelé par ses yeux envoûtants, qui, bien que morts, reprennent vie, il peint son visage pour faire exister la jeune morte dans la même dimension que lui.
Sortie de son corps, elle déambule dans le « monde des ombres », emportant avec elle celle du narrateur, devenu lui aussi un « mort en mouvement ». Emboîtement de divagations, de sommeils, de rêves et d’éveils, le roman se déploie en une amplification de cette illumination première. La voix d’où jaillit ce roman labyrinthe dépossède le passé de son antériorité pour le faire surgir dans le présent de ce narrateur ventriloque qui fait remonter en lui des faits vécus par d’autres. L’écrivain aspirait à renouveler les institutions politiques et littéraires de son pays. Un idéalisme nationaliste pourtant taillé en pièces dans cette œuvre rhapsodique en clair-obscur, qui préfigure le suicide, en 1951, de celui qui lui donna naissance. Un opium mental hypnotique, où le héros fait connaissance avec son ombre, et nous avec la nôtre. Ju. E.
ROMAN. « Le Vantail de neige », d’Emily Holmes Coleman
Marthe Gail a des hallucinations et des moments de lucidité. Cette jeune femme a contracté la fièvre puerpérale pendant son accouchement et s’est retrouvée internée dans un hôpital psychiatrique. Le lecteur l’accompagne dans les délires où elle se prend pour Dieu ou Jésus-Christ comme il la suit à travers les différents étages de l’hôpital, où les hiérarchies de classe se rejouent avec celles des affections.
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