L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER
Cela fait vingt ans que le nom de Sonia Kronlund est associé à l’émission de France Culture « Les Pieds sur terre », qui, du lundi au vendredi à l’heure du déjeuner, diffuse un reportage sans commentaire. Vingt ans que la productrice présente chaque épisode de sa voix patiente et profonde, comme surgissant du fond des ondes.
A l’annonce de son nouveau documentaire, ses fervents auditeurs pourront alors se poser une question : parmi la multitude de sujets et de personnages passionnants qu’elle voit défiler, qu’est-ce qui fait que l’un d’eux mérite d’être décliné en film ?
Le début de L’Homme aux mille visages, qui a d’abord été un livre, nous donne quelques éléments de réponse : la journaliste raconte que sa vie amoureuse a été ponctuée par des rencontres avec des amants mythomanes et manipulateurs. D’ailleurs, son premier documentaire, Nothingwood (2017), suivait Salim Shaheen, acteur-producteur-réalisateur afghan, et inoubliable fabulateur qui augmentait chaque instant de vie d’un peu de mensonge. L’Homme aux mille visages, ce sera le côté obscur de la force, l’histoire d’un fabulateur qui n’intensifie rien, mais fait beaucoup de mal autour de lui.
Sonia Kronlund a enquêté durant cinq ans sur celui que l’on appellera « Ricardo », un extraordinaire imposteur qui a séduit d’innombrables femmes à travers le monde, à chaque fois sous une identité différente. Il se fait appeler Ricardo, Alexandre, Daniel ou Richard. Il est tour à tour médecin, policier, photographe, ingénieur. Se dit Brésilien, Portugais ou Argentin. Doué d’un vertigineux don d’ubiquité, l’homme parvenait à entretenir plusieurs relations sérieuses en même temps, de la Pologne au Brésil, en passant par la France.
Masochisme amoureux
Sonia Kronlund a retrouvé des victimes de Ricardo. Certaines témoignent à visage découvert, d’autres sont incarnées par des comédiennes (impossible, d’ailleurs, de démêler le vrai du faux) : des femmes, pas plus crédules que d’autres, qui étaient amoureuses, parfois fiancées, et ne se sont jamais doutées qu’elles partageaient leur vie avec un homme qui cumulait les compagnes et les identités, et, surtout, parvenait à ne jamais être démasqué. L’une d’entre elles se souvient que Ricardo lui en voulait de ne jamais être venue visiter son lieu de travail – si seulement elle avait accepté !
L’Homme aux mille visages aurait pu, sur un ton empreint de gravité, égrener les témoignages face caméra et les visages des victimes éplorées. Au lieu de quoi le film travaille à une forme qui, grâce à son humour permanent et à sa distance, lui confère sa dimension réparatrice : on discute avec une avocate des risques induits par la diffusion du visage de Ricardo (téméraire, Sonia Kronlund finit par le montrer), les femmes témoignent dans un Paris de carte postale au milieu de tourtereaux qui se bécotent, définitivement immunisées contre toute illusion romantique.
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