« Condamnées à mort. L’épuration des femmes collaboratrices, 1944-1951 », de Fabien Lostec, préface de Marc Bergère, CNRS Editions, « Nationalismes et guerres mondiales », 396 p., 26 €, numérique 19 €.
Démentir une idée reçue nécessite parfois un long labeur historique. Dans le troisième tome de ses Mémoires de guerre (Plon, 1959), le général de Gaulle raconte qu’il supervisa l’épuration des collaborateurs, comme chef du Gouvernement provisoire de la République française (1944-1946). Il justifie l’exécution de ceux qui avaient « causé la mort de Français ou servi directement l’ennemi », mais souligne qu’il commua « la peine de toutes les femmes ». Une supposée clémence envers elles qu’on lut comme une vérité générale sur toute la période de l’après-guerre, répétée dans d’innombrables ouvrages. L’historien Fabien Lostec a choisi de l’aborder de front, par un travail de thèse exemplaire et patient, visitant plus de soixante dépôts d’archives judiciaires et départementales.
Un « archipel épuratoire »
Le résultat, qui vient d’être publié sous le titre Condamnées à mort, est net : en réalité, 46 femmes furent condamnées et exécutées entre 1944 et 1949, à la suite de procès légaux, un total qui se monte à 121 si l’on inclut les exécutions ordonnées par des tribunaux improvisés. Mais la richesse du travail ne se limite pas à l’établissement de ces chiffres. Chemin faisant, c’est toute la lecture de la période qui est retouchée. L’auteur souligne en particulier la complexité juridique des premiers mois de la Libération, qui voit naître un « archipel épuratoire » mêlant justice plus ou moins sommaire des résistants, cours militaires et juridictions civiles d’exception, dont la sévérité varie.
De très riches pages sont également consacrées à la fuite, en France ou à l’étranger, des femmes collaboratrices, dont la majorité sont condamnées par contumace. C’est sur leurs actes que l’ouvrage apporte le plus d’éléments inédits, en révélant de véritables engagements féminins. Loin des clichés genrés sur la collaboration « sentimentale » ou « horizontale » de femmes qui n’auraient été que des amantes ou des compagnes, il suit des parcours de femmes politisées, délatrices et, surtout, collaborationnistes, à l’image de Marguerite Jonlet, active secrétaire départementale du Parti populaire français, le mouvement pro-nazi de Jacques Doriot, arrêtée en Autriche en 1945, condamnée et graciée en 1946. Fabien Lostec interroge même le rapport à la violence de certaines femmes dont le rôle tortionnaire, voire meurtrier, est établi.
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