La plage de la Marinella est en grève. Au matin du vendredi 9 août, comme des centaines d’autres exploitants balnéaires, Emiliano Migliore, 39 ans, a retardé l’ouverture de ses 250 parasols, parfaitement alignés sur la bande de littoral proche d’Ostie dont sa famille a la garde depuis 1980. Les baigneurs, qui commencent habituellement à se presser sur le sable gris dès 8 heures, devront patienter.
Mais pas trop longtemps. La grève nationale a été décrétée par deux syndicats de plagistes entre 7 h 30 et 9 h 30. Il faut dire qu’en Italie, malgré la crise du secteur, l’accès aux plages privées, dont les emprises écrasantes s’étalent tout le long des côtes, a quelque chose de sacré, surtout lorsque le 15 août approche, point le plus profond de l’été italien, quand le pays prend congé de lui-même et que sa population migre au bord de l’eau.
« C’est une grève gentille ! Nous voulons simplement rappeler le gouvernement à ses responsabilités », assure M. Migliore. Pourtant, parmi les titres du journal radiophonique qui retentit dans les enceintes du bar de la plage où il est installé, l’évocation du mouvement des exploitants arrive en première position, devant l’annonce d’une reprise des négociations entre Israël et le Hamas, l’incursion ukrainienne en Russie et les Jeux olympiques de Paris.
Une rente de fait
Ce système unique en Europe régit les activités des 6 592 établissements balnéaires se partageant les plus belles plages italiennes et fait l’objet d’un conflit vieux de près de deux décennies entre Rome et Bruxelles. Et il pourrait connaître ses derniers jours : le gouvernement italien, qui a protégé avec assiduité son lobby puissant et marqué à droite, ne semble, en effet, plus en mesure de le sauver.
Le parcours de la dynastie Migliore est typique de cette histoire très italienne. « Mon grand-père, qui venait d’une famille de pêcheurs, a commencé à travailler sur cette plage en 1953 », raconte le patron du Marinella. L’Italie de l’après-guerre est alors en plein boom économique, le tourisme de masse se développe et les plages jusqu’alors ignorées deviennent une ressource lucrative. Les communes commencent à délivrer sans appel d’offres des concessions pour des sommes modiques qui se renouvellent automatiquement.
C’est ainsi qu’après avoir repris la plage de son patron en 1980 le grand-père Migliore a pu la transmettre à son fils, avant qu’elle échoie à Emiliano. En s’installant, ce système crée une rente de fait, les exploitants ne devant s’acquitter que de redevances très modestes, sans commune mesure avec leurs recettes. Ce secteur est progressivement associé à certaines dérives, entre constructions illégales, dégâts environnementaux et infiltrations mafieuses.
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