C’était le contrat le plus rémunérateur de la branche russe de Sodexo. Le plus « confidentiel » aussi, confie Igor (le prénom a été modifié à sa demande), un ancien cadre de la multinationale française spécialisée dans la restauration d’entreprise et la logistique. Selon plusieurs documents internes obtenus par M Le magazine du Monde, Sodexo était chargé de la restauration et des infrastructures (les générateurs électriques comme la station d’épuration) sur le chantier du gazoduc Nord Stream 2.
Construit entre début 2018 et septembre 2021 – date officielle de lancement de ce projet controversé reliant la Russie à l’Allemagne et traversant la mer Baltique –, il sera enterré, en septembre 2022, quand plusieurs de ses pipelines seront sabotés au cours d’une mystérieuse opération clandestine.
Partenaire officiel du village olympique pour les Jeux organisés cet été à Paris, desquels les athlètes russes ont été exclus, l’entreprise n’a jamais communiqué publiquement sur ce contrat à plusieurs millions de dollars. A l’époque, sur le site du camp de base du géant du gaz russe, près de la ville de Kingissep, à 30 kilomètres de la frontière estonienne, rien, pas même un logo, n’indique que Sodexo travaille sur place.
Un travail quasiment indétectable
Après l’appel d’offres remporté en 2017, plusieurs employés de la filiale racontent comment l’entreprise aurait tenté de camoufler son implication dans ces infrastructures russes stratégiques pour des raisons d’image publique. « Même si l’opération était légale, on ne voulait pas être accusé de collaborer avec un Etat sous sanctions », détaille Igor, par téléphone.
Depuis l’annexion de la Crimée et d’une partie de l’est de l’Ukraine, en 2014, l’Union européenne punit certaines entreprises énergétiques russes, dont la division pétrolière de Gazprom, actionnaire principal de Nord Stream. Selon l’ex-employé, au lieu de collaborer avec le consortium Nord Stream AG, chargé du gazoduc, Sodexo a sollicité l’entreprise STEP, un de leurs sous-traitants russes habituels. Cette structure dirigée par l’homme d’affaires Yuri Ioffe collabore aussi avec plusieurs entreprises du groupe d’Evgueni Prigojine (1961-2023), le fondateur de la société militaire privée Wagner et de Concord Catering, spécialisée dans la restauration d’entreprise.
Contacté à de multiples reprises, Yuri Ioffe n’a pas répondu à nos questions. Grâce à cette astuce, Sodexo rend son travail sur le site du gazoduc quasiment indétectable. En toute légalité, même quand les Etats-Unis imposent une série de sanctions contre le gazoduc en construction, à partir de décembre 2019, insistent plusieurs anciens employés, en évoquant des réunions avec leur service juridique sur la marche à suivre. Jusqu’à la fin du chantier, Sodexo poursuit son travail en Russie. Par le biais de son service de communication qui confirme le travail fourni sur le chantier du gazoduc Nord Stream 2, l’entreprise se présente comme le « client » de STEP et affirme s’être assurée de ne pas contrevenir « aux programmes de sanctions en vigueur ».
Il vous reste 63.65% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.