L’AVIS DU « MONDE » – CHEF-D’ŒUVRE
Oser le mélodrame, oser l’émotion, au cinéma, cela ne signifie pas forcément sortir les grandes orgues, donner dans le flamboyant ou le grand style. Il existe parfois, au contraire, une forme de ténuité, de retenue, d’euphémisme, qui en arrive aux mêmes résultats, faire monter les larmes aux yeux. C’est ce que prouvent les frères Larrieu avec Le Roman de Jim, d’après le livre de Pierric Bailly (P.O.L, 2021), leur film le plus sec et peut-être le plus bouleversant.
A ce titre, ce nouveau long-métrage marque une inflexion dans leur œuvre gémellaire, d’un hédonisme bon enfant, fantasque et chantante, comme le démontrait encore récemment Tralala (2021). Ce déplacement est d’abord géographique : les frères passent pour la première fois à l’Est. Et à des récits déambulatoires et vagabonds succède la ligne droite d’un chemin de vie, avec ce qu’elle peut avoir aussi de directif et d’irréparable.
Ce bout de chemin, c’est celui qu’effectue Aymeric (Karim Leklou), natif de Saint-Claude (Jura), dans le Haut-Jura, depuis la fin des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, sur un arc couvrant presque trente ans entre une jeunesse erratique et l’âge de maturité. Bonne pâte notoire, homme ordinaire mais non sans qualités, Aymeric se laisse volontiers porter par le courant, et même embarquer dans un cambriolage de jeunesse qui lui vaut de passer par la case prison. A sa sortie, le hasard veut qu’il tombe sur Florence (Laetitia Dosch), ancienne collègue un peu allumée, enceinte de six mois, avec laquelle il noue une histoire d’amour qui le remet en selle.
Schéma fortuit
Elle, infirmière à Oyonnax (Ain), lui, travailleur intérimaire, s’installent à la campagne, où Aymeric accueille l’enfant d’un autre exactement comme s’il était le sien. Les années filent et, avec ce bout de chou nommé Jim (Eol Personne puis Andranic Manet), le papa de substitution développe une relation fusionnelle, privilégiée. Jusqu’au jour où le père biologique, Christophe (Bertrand Belin) refait surface et reprend peu à peu, presque insensiblement, sa place auprès de Florence. Par effet de cliquet, Aymeric se voit tout aussi progressivement évincé du tableau familial. Un départ pour le Canada achève de trancher le nœud de cette filiation miraculeuse, ne devant rien aux liens du sang. Et Aymeric de se retrouver sur le carreau, à devoir se réinventer une vie sans « son » fils.
La réussite du film tient d’abord à l’épaisseur de temps que les frères Larrieu parviennent à insuffler à ce récit somme toute très linéaire, mais dont la linéarité rend justement sensible ce que le cours d’une vie a d’irrémédiable, ce qu’elle donne et ce qu’elle reprend. Les scènes se succèdent sans jamais s’appesantir, comme se feuillettent les pages d’un album de famille, impression amplifiée par les photographies qu’Aymeric prend tout du long et qui viennent s’insérer en négatif dans le cours du film – les images fixes servent de butée au passage du temps.
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