ARTE – LUNDI 20 MAI – 23 H 45 – DOCUMENTAIRE
Chez les Schindler, « Juste » se conjugue aussi au féminin. L’industriel allemand Oskar Schindler s’est imposé comme un héros dans la mémoire collective, grâce notamment au film de Steven Spielberg La Liste de Schindler (1994), pour avoir sauvé entre 1 200 et 1 300 juifs de camps de concentration nazis en les « embauchant » dans une de ses usines.
Mais qui connaît Emilie, son épouse ? Cette native des Sudètes (1907) a joué un rôle décisif dans l’organisation de ce sauvetage. Ce qui n’empêchera pas cette femme – divorcée d’Oskar en 1957 – de terminer sa vie, à 93 ans, en 2001, oubliée de tous, en Argentine (où le couple avait émigré après-guerre).
Une documentariste allemande, Annette Baumeister – remarquée en 2018 pour son film Quand les femmes s’émancipent sur des militantes féministes –, a décidé de rendre justice à cette « épouse d’un grand homme », réduite toute sa vie à ce seul statut. « Je n’apparais que dans trois scènes du film La Liste de Schindler, sous les traits de l’épouse trompée et humiliée », dit Emilie Schindler dans ce documentaire.
Héroïne anonyme
Annette Baumeister dessine le portrait d’une héroïne anonyme qui n’eut de cesse d’agir dans l’ombre, comme l’immense majorité des Justes parmi les nations. Début 1945, l’usine Schindler, en Pologne, est cerclée de barbelés électrifiés et surveillée par plus de 250 SS. « Je vivais dans l’angoisse permanente qu’ils se rendent compte que nous nourrissions et protégions des juifs », dit Emilie, qui avait alors 37 ans. La défaite qui se profile rend les temps encore plus difficiles et dangereux. « La fin du IIIe Reich a été une période de chaos total, les nazis fermaient les camps et les SS avaient le champ complètement libre », rappelle l’historien David M. Crowe.
Un jour de janvier 1945, alors qu’Oskar Schindler est en déplacement à Cracovie, un homme vient frapper à la porte. Emilie ouvre : « J’étais seule et l’homme m’explique qu’il transporte des travailleurs juifs, si je ne les prends pas, ils seront envoyés à la mort. » Elle va voir le train en question et se heurte aux SS, qui l’empêchent d’ouvrir les wagons. Qu’à cela ne tienne, elle leur explique que « les prisonniers sont attendus pour travailler dans son usine, relate le professeur Mordecai Paldiel, ancien historien de Yad Vashem, avec un argument imparable : chaque munition produite contribue à la victoire ». « Un ingénieur de l’usine est allé chercher un chalumeau pour faire sauter les serrures gelées des wagons, se rappelle Gertrud, la nièce des Schindler, qui vivait alors chez eux, à 7 ans. Puis ma tante a installé un dispensaire de fortune dans l’usine pour les soigner. » Tous échapperont au génocide.
Emilie est une femme de tête, qui avait, dans son enfance, soigné son père traumatisé de retour du front de la Grande Guerre. Après 1945, elle passera par pertes et profits, comme tant d’autres épouses qui avaient œuvré dans l’ombre de leur mari. « Ce qu’elle avait vécu l’avait rendue très dure mais aussi très tendre, notamment avec les animaux », se souvient l’infirmier argentin qui veillera sur elle jusqu’à sa mort.
En mai 1994, Emilie Schindler finira par se voir accorder le titre de Juste parmi les nations par le Mémorial de Yad Vashem. Maigre et tardive consolation. Mais juste reconnaissance.
Emilie Schindler. Une liste, une héroïne, d’Annette Baumeister (All., 2024, 52 min).