Depuis la crise sanitaire de 2020, la pratique du télétravail a explosé dans les entreprises françaises. Elle est même devenue indispensable pour une partie des salariés. Ainsi, selon une étude de l’Association pour l’emploi des cadres, publiée mardi 12 mars, près d’un cadre sur deux (45 %) démissionnerait si l’accès au télétravail était supprimé. Mais qu’en est-il de la gestion du temps de travail sur le temps long ? Congés sabbatiques, pauses liées à la parentalité, congés spéciaux rémunérés : si certains pays européens sont à la pointe sur la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle tout au long de la carrière, la France reste frileuse sur le sujet. Chercheur associé à l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales, une unité mixte de recherche du CNRS, associée à l’université Paris-Dauphine-PSL, le sociologue Jean-Yves Boulin décrypte les dernières évolutions et les freins au développement de tels dispositifs dans l’Hexagone.
On voit apparaître dans certaines entreprises françaises des dispositifs permettant aux salariés de faire une pause dans leur carrière, tout en continuant de toucher une part importante de leur salaire. Comment expliquez-vous cette tendance ?
Depuis la pandémie, les entreprises ont un problème de fidélisation de leur main-d’œuvre. Même si, en France, ça n’a pas pris la même ampleur qu’aux Etats-Unis, où on a assisté à la « grande démission » [la Great Resignation pendant laquelle 48 millions de personnes ont quitté leur travail en 2021], la préoccupation est réelle. En réaction, les entreprises essaient de mettre en place des dispositifs innovants autour du temps de travail, soit pour attirer de nouveaux salariés, soit pour les retenir.
La deuxième raison tient à une problématique apparue pendant les années 2000, mais qui s’est accentuée avec la crise sanitaire : les salariés sont de plus en plus préoccupés par l’articulation des différents temps sociaux. Concrètement : comment réussir à mieux concilier les différents rôles de sa vie (à la fois travailleur, parent, aidant, etc.), mais aussi vis-à-vis de la société, en termes d’engagement citoyen.
Cela marque-t-il une tendance de fond dans le monde du travail ?
Pour le moment, les entreprises qui proposent des dispositifs permettant de faire des pauses au cours de sa carrière sont peu nombreuses en France. Par ailleurs, les conditions d’accessibilité sont restrictives (ancienneté, type d’activité possible, etc.). Le patronat français est très frileux sur ce sujet. Le Medef est, par exemple, vent debout contre le projet de compte épargne-temps universel, le CETU, porté par la CFDT, qui permettrait d’accumuler des droits à congé tout au long de sa vie professionnelle.
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