« La Maison de mon père », d’Akos Verboczy, Le Bruit du monde, 290 p., 21 €, numérique 15 €.
Y revenir. Loin des romans mettant en scène le retour tardif d’un personnage sur le lieu de son enfance, avec le tourbillon de sentiments contradictoires qui s’ensuit, La Maison de mon père, du Québécois Akos Verboczy, explore une voie médiane : le voyage d’un narrateur en Hongrie, pays natal qu’il n’a jamais vraiment perdu de vue.
Cet habitant de Montréal, double supposé de l’auteur (né en 1975), a quitté Budapest à 11 ans, au milieu des années 1980, avec sa mère et sa sœur. Cette fois, fraîchement séparé de sa compagne, il y rentre après douze ans d’absence, pour la première fois depuis les funérailles de son père : une dispersion de cendres bâclée au terme d’une brève cérémonie religieuse, qui lui a laissé un goût d’inachevé.
« Pour voir si j’y suis encore », avance le protagoniste en guise de justification auprès de Petya, son meilleur ami d’enfance. Mais c’est autant dans le dessein de rendre un dernier hommage à son père, homme fantasque, que dans celui de se confronter à sa propre jeunesse. Il a un but en tête : retrouver, avec Petya, la maison de campagne paternelle, un vieux pressoir sur les hauteurs du lac Balaton, où il a passé de fabuleux étés, depuis son émigration, non sans avoir, au préalable, revu tous ceux qui ont compté pour lui : amis, premier grand amour, « mère suppléante » (nourrice) et membres de la famille restés au pays.
Sorte de « lettre au père » posthume, à l’écriture pudique et délicate, ce roman brosse un portrait tout en contrastes de ce géniteur hors normes : photographe publicitaire fou de poésie, ou agent de sécurité quand le travail manquait. Un homme instable, surtout, frère d’un écrivain pour la jeunesse réputé, mais aussi mari infidèle et buveur invétéré, dont Akos Verboczy dépeint les excès avec honte et chagrin mêlés. Dans un chapitre poignant, il relate qu’il n’hésita pas à abandonner cet encombrant compagnon dans un train, ivre mort, pour arriver à temps à un rendez-vous. Ils ne se revirent pas : le père mourut quelques années plus tard à la suite d’un coma éthylique.
Entre deux branches familiales
Le récit de ce périple hongrois est aussi, pour le romancier, une entreprise de reconstitution du puzzle de sa propre existence, une « vie chambranlante » écartelée entre deux continents, autant qu’entre deux branches familiales d’origines opposées. Du côté paternel, d’anciens aristocrates cultivant le mythe d’un illustre ancêtre au service du royaume de Hongrie. Du côté maternel, des juifs qui ont subi les persécutions nazies et l’antisémitisme du régime communiste. Revenant sur l’histoire tragique de cette communauté décimée (560 000 victimes, selon le mémorial aux victimes de la Shoah de Yad Vashem), Akos Verboczy laisse entendre combien la survie des siens a relevé du miracle. C’est sur la tombe de son arrière-grand-mère, où il dépose des cailloux, selon le rite de deuil juif, que le narrateur va s’inscrire dans cette histoire.
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