Personne ne prête plus attention au bâtiment grisâtre et vétuste, ceinturé d’une palissade, qui se dresse au beau milieu de la rue de la République, l’artère piétonnière et commerçante du centre de Saint-Denis, à quelques pas de la basilique gothique. Au pied de l’immeuble voisin, le coiffeur-barbier qui prend le soleil ignore tout de l’histoire de cet immeuble. Tout comme une employée du grand bureau de poste situé face à l’édifice à l’abandon. « C’est normal, elle est arrivée en 2023 », glisse une collègue. Personne ne l’a informée qu’il y a plus de huit ans, cet immeuble du cœur du vieux Saint-Denis est rentré dans l’histoire tragique de la France, par effraction.
C’est ici que, le 17 novembre 2015, à la nuit tombée, est venu se planquer Abdelhamid Abaaoud, le chef opérationnel des attentats qui ont ensanglanté le pays quatre jours plus tôt, en frappant au Stade de France et au Bataclan et en mitraillant plusieurs terrasses de restaurants de l’Est parisien. Il est accompagné d’un autre survivant du commando des terrasses, Chakib Akrouh.
La cousine d’Abaaoud, Hasna Aït Boulahcene, les a aidés à trouver cette cache et les a accompagnés. Elle a été mise en relation avec Jawad Bendaoud, un marchand de sommeil qui occupe illégalement un appartement au fond de cette copropriété en piteux état, à l’angle du 48, rue de la République et de la petite rue du Corbillon, où se trouve l’entrée, au numéro 2. Derrière la porte cochère, cinq bâtiments de différentes hauteurs se juxtaposent en U autour d’une triste cour. Les fugitifs s’y retranchent, bâtiment C, côté Corbillon, au troisième étage.
Quelques heures plus tard, cet immeuble pauvre promis à l’anonymat va vivre une scène de guerre. Avant l’aube, le RAID a quadrillé le quartier et lance son assaut. Il durera de longues heures, pendant lesquelles les habitants, quarante-cinq familles (quatre-vingts personnes), se terrent sous les lits ou dans les placards. Les terroristes, qui refusent de se rendre, essuient plus de mille cinq cents tirs. Ils périssent : Chakib Akrouh se fait exploser avec sa ceinture, Abdelhamid Abaaoud meurt à la suite de l’effet de souffle et Hasna Aït Boulahcene, asphyxiée dans les décombres. Le plancher s’effondre, le bâtiment est dévasté.
La nature a repris ses droits
Plus de huit années ont passé et tout est resté en l’état. Par une belle matinée de la fin avril, une petite équipe de la municipalité de Saint-Denis s’apprête à nous ouvrir la porte du 2, rue du Corbillon. Comme souvent le lundi, la rue commerçante est calme. « J’entre avec vous sur le site pour la première fois », confie Katy Bontinck, première adjointe au maire socialiste de Saint-Denis chargée de la lutte contre l’habitat indigne et la rénovation urbaine. Une ombre passe sur son visage. « Cela me fait quelque chose, dit-elle. A l’époque, j’habitais juste derrière, je peux dire le choc qu’a été cet assaut, le quartier était entièrement bouclé, la nuit a été très traumatisante. » Les habitants ont quitté l’immeuble dans la précipitation, pour ne pas revenir : à l’étage, une serviette et un tee-shirt qui furent blancs en 2015 pendouillent encore sur un vieux tancarville accroché à une balustrade.
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