La police antiémeute du Bangladesh a tiré à balles réelles, samedi 20 juillet, sur des manifestants rassemblés à Dacca, la capitale, a constaté un journaliste de l’Agence France-Presse (AFP). Au lendemain d’une nouvelle journée d’affrontements meurtriers, l’armée était largement déployée dans les villes du pays.
Le développement du mouvement de contestation – lancé par des manifestations étudiantes et qui a fait au moins 133 morts cette semaine, selon un décompte de l’AFP s’appuyant sur des sources policières et hospitalières – a conduit la première ministre, Sheikh Hasina à renoncer à ses déplacements à l’étranger. Mme Hasina, au pouvoir depuis quinze ans, devait quitter le pays dimanche pour une tournée diplomatique. « Elle a annulé ses visites en Espagne et au Brésil en raison de la situation actuelle », a déclaré Nayeemul Islam Khan, samedi.
Samedi, au moins une personne a été blessée parmi les milliers de manifestants massés dans le quartier Rampura pour protester contre le couvre-feu imposé la veille. Il est entré en vigueur à minuit samedi et sera effectif jusqu’à 10 heures (heure locale) dimanche.
Le bureau de la première ministre a demandé à l’armée de déployer des troupes, après que la police a de nouveau échoué à maîtriser les troubles. « L’armée a été déployée dans tout le pays pour contrôler les troubles à l’ordre public », a déclaré à l’AFP le porte-parole des forces armées, Shahdat Hossain.
« Des centaines de milliers de personnes »
« Des centaines de milliers de personnes » ont affronté la police dans la capitale vendredi, a déclaré à l’AFP le porte-parole de la police, Faruk Hossain. « Au moins cent cinquante policiers ont été admis à l’hôpital. Cent cinquante autres ont reçu les premiers soins », a-t-il précisé, ajoutant que deux agents avaient été battus à mort. Selon la même source, « les manifestants ont incendié de nombreuses guérites de police » et « de nombreux bureaux gouvernementaux ont été incendiés et vandalisés ».
Des centaines de manifestants ont bravé l’ordre de rester chez eux dans le quartier résidentiel de Rampur, mais ils ont été rapidement dispersés par la police qui a tiré des balles en caoutchouc, a rapporté un journaliste de l’AFP sur place.
Un porte-parole de Students Against Discrimination, le principal groupe organisateur des manifestations, a fait savoir à l’AFP que deux de ses dirigeants avaient été arrêtés depuis vendredi. Un haut responsable du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), principale formation d’opposition, a été arrêté aux premières heures, samedi, selon le porte-parole du parti, Sairul Islam Khan.
Des milliers de personnes ont par ailleurs assiégé une base de la police à Rangpur dans la nuit de vendredi à samedi, a fait état auprès de l’AFP un haut responsable de la police de cette ville du nord du pays, et trois manifestants ont été tués.
« Intolérance absolue à l’égard des protestations et de la dissidence »
Les manifestations – quasi quotidiennes depuis le début de juillet – visent à obtenir la fin des quotas d’embauche dans la fonction publique qui réservent plus de la moitié des postes à des groupes spécifiques, notamment aux enfants des vétérans de la guerre de libération du pays contre le Pakistan en 1971, et favorisent les proches du pouvoir.
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De nombreuses voix affirment que le programme bénéficie aux enfants issus des groupes progouvernementaux soutenant Mme Hasina, 76 ans, qui a remporté sa quatrième élection d’affilée en janvier après un vote sans véritable opposition.
Le gouvernement de Mme Hasina est accusé par les groupes de défense des droits humains d’utiliser abusivement les institutions de l’Etat pour asseoir son emprise sur le pouvoir et éradiquer la dissidence, notamment par l’assassinat extrajudiciaire de militants de l’opposition.
Depuis les premiers décès, survenus mardi, les manifestants exigent que Mme Hasina quitte ses fonctions. « La frustration monte au Bangladesh, parce que le pays n’a pas connu d’élections nationales véritablement concurrentielles depuis plus de quinze ans », a observé auprès de l’AFP Pierre Prakash, de l’International Crisis Group. « Sans réelle alternative dans les urnes, les Bangladais mécontents n’ont pas beaucoup d’autres options que les manifestations de rue pour faire entendre leur voix », a-t-il ajouté.
Les tirs de la police sont à l’origine de plus de la moitié des décès signalés depuis le début de la semaine, d’après les descriptions fournies à l’AFP par le personnel hospitalier. « L’augmentation du nombre de morts est une preuve choquante de l’intolérance absolue dont font preuve les autorités bangladaises à l’égard des protestations et de la dissidence », a déclaré Babu Ram Pant, d’Amnesty International, dans un communiqué.
Les autorités ont imposé depuis jeudi une coupure nationale d’Internet, entravant gravement les communications à l’intérieur et à l’extérieur du Bangladesh.