L’ONG Reporters sans frontières (RSF) avait saisi la plus haute juridiction administrative en 2022 à propos de la chaîne CNews. Le Conseil d’Etat a rendu sa décision, mardi 13 février, demandant à l’Arcom, le régulateur des médias, de renforcer son contrôle sur la chaîne d’information dans le giron du milliardaire conservateur Vincent Bolloré.
Dans sa décision, la plus haute juridiction administrative nationale « enjoint à l’Arcom de réexaminer dans un délai de six mois le respect par la chaîne CNews de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information », selon un communiqué. Cette décision va dans le sens de l’ONG en souhaitant que l’autorité de régulation soit plus intransigeante sur le décompte des temps de parole politiques, particulièrement avec les chaînes du groupe Canal+.
L’Arcom a réagi en faisant savoir qu’elle « réexaminera le recours de l’association Reporters sans frontières, conformément aux termes de la décision de ce jour ». « Avec cette interprétation renouvelée de la loi de 1986, le Conseil d’Etat renforce la capacité de contrôle par le régulateur des obligations de ces médias en matière d’honnêteté, de pluralisme et d’indépendance de l’information, dans le respect de leur liberté éditoriale », acte l’autorité.
« Désormais, outre le décompte des temps de parole des personnalités politiques, le régulateur pourra, pour apprécier le respect par un éditeur du pluralisme des courants de pensées et d’opinions, prendre en compte les interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités », ajoute l’Arcom, avant d’ajouter que « pour s’assurer de l’indépendance de l’information », elle « pourra à présent tenir compte de l’ensemble des conditions de fonctionnement et des caractéristiques de la programmation des chaînes ».
« Grande victoire » et « décision historique » saluée par RSF
Le régulateur ne doit pas se limiter au décompte des temps de parole des personnalités politiques pour veiller au respect du pluralisme, a en effet tranché mardi le Conseil d’Etat dans sa décision rendue publique. Dans sa décision, il « juge que, pour apprécier le respect par une chaîne de télévision, quelle qu’elle soit, du pluralisme de l’information, l’Arcom doit prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités, et pas uniquement le temps d’intervention des personnalités politiques ».
Concernant l’indépendance de l’information au sein de la chaîne, le Conseil d’Etat ajoute que l’Arcom doit s’en assurer « en tenant compte de l’ensemble [des] conditions de fonctionnement [de CNews] et des caractéristiques de sa programmation, et pas seulement à partir de la séquence d’un extrait d’un programme particulier ».
L’avocat de RSF, M. Spinosi, a salué cette décision auprès du Monde : « C’est une très grande victoire pour la liberté d’information et le pluralisme dans les médias. Pour la première fois, le Conseil d’Etat impose à l’Arcom, tout comme nous lui demandions, de contrôler le respect du pluralisme sur l’ensemble des programmes de CNews. » « Il va plus loin encore en exigeant que le régulateur s’assure que l’indépendance effective de la chaîne soit garantie au regard de l’influence que peuvent exercer ses actionnaires sur la ligne éditoriale. La passivité de l’Arcom est sanctionnée », a-t-il ajouté.
Selon l’avocat, « l’association RSF continuera à s’assurer que ces exigences soient scrupuleusement respectées ». Le secrétaire général de l’association, Christophe Deloire, s’est lui aussi félicité sur X de cette décision qui représente, selon lui, « une grande victoire pour RSF mais surtout une décision historique pour la démocratie et le journalisme ».
L’association de défense de la liberté de la presse avait saisi la juridiction en avril 2022, pointant « l’inaction de l’Arcom » face « aux manquements de CNews ». Avant ce recours, l’ONG de défense de la liberté de la presse avait en vain appelé l’Arcom à mettre en demeure CNews de respecter ses obligations, à savoir « honnêteté, indépendance et pluralisme de l’information ». RSF considère que la chaîne CNews « n’est plus une chaîne d’information, mais est devenue un média d’opinion », ce que l’intéressée conteste. Lors de l’audience devant le Conseil d’Etat, le 19 janvier, le rapporteur public, qui dit le droit, avait partiellement donné raison à RSF : il avait estimé que l’Arcom n’avait pas suffisamment motivé son rejet de la demande de RSF.
Sur le podium des chaînes d’info, CNews est deuxième en matière d’audience au début de l’année 2024, derrière BFM-TV, mais elle progresse. Ses principales têtes d’affiche sont Pascal Praud, Christine Kelly, Sonia Mabrouk, Laurence Ferrari… La chaîne du canal 16 appartient au groupe Canal+, lui-même contrôlé par Vivendi, groupe de Vincent Bolloré, aux opinions réputées ultraconservatrices.
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L’Arcom a déjà mis en demeure CNews à plusieurs reprises sur des séquences diffusées, en particulier quant au respect du pluralisme politique. RSF demandait au régulateur d’aller plus loin et de garantir « un contrôle effectif » au-delà de celui de l’équilibre des temps de parole des invités politiques.