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Eric Birlouez est sociologue, ingénieur agronome et auteur de Petite et grande histoire des céréales et des légumes secs (Quæ, 2022).
Pourquoi la baguette fait-elle corps avec notre image d’Epinal ?
Au-delà de sa fonction nourricière, la baguette est un élément majeur de notre culture alimentaire et de notre art de vivre. Ce sont les premiers touristes anglais et américains qui ont remarqué cette singularité, avant que les Français se reconnaissent en elle. Aujourd’hui, elle est identitaire et classée au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
Comment s’est-elle imposée ?
Il y a toutes sortes de légendes urbaines à ce sujet, qui vont du pain glissé dans les poches ou les bottes des grognards de Napoléon au pain long qui a mis fin aux querelles entre les bâtisseurs du métro de Paris [ils avaient des couteaux pour couper leur pain]. Avec la baguette, plus besoin de couteau. En réalité, la baguette est un produit bobo avant l’heure, né dans la capitale au XIXe siècle pour une clientèle aisée qui voulait un pain fantaisie, plus léger et avec davantage de croûte. Le premier traité de boulangerie à employer le mot date de 1904. Sous les « trente glorieuses », elle devient un produit dominant, mieux adapté aux rythmes de vie des villes et aux fournils des boulangers citadins.
Notre langue regorge d’expressions avec le mot « pain ». Est-ce une particularité française ?
Oui. Ça se « vend comme des petits pains », on a un « copain », on « mange son pain blanc ». On emploie aussi beaucoup d’expressions dérivées, comme « être dans le pétrin », « une bonne pâte » ou un « vieux croûton ». Toutes témoignent de l’importance de cet aliment et du respect qu’il inspire. Au XXe siècle, on traçait encore une croix sur les miches. La dimension biblique du pain, surtout chez les chrétiens, est très forte, allant du miracle de la multiplication des pains au rite de l’eucharistie.
Magnifie-t-on le pain du fait de nos pratiques culinaires ou parce que la France est une grande terre à blé ?
Le sol et le climat ont été fondateurs. La France est une terre à blé. Elle était déjà renommée pour la qualité de ses pains à l’époque romaine. Nous avons très vite opté pour une consommation panifiée du blé, quand, ailleurs en Europe, les bouillies ou les galettes prévalaient. C’est aussi à la diversité de ses sols que la France doit sa grande variété de cultures et d’aliments ainsi que les pratiques culinaires qui ont fondé sa renommée.
Est-on toujours des mangeurs de pain ?
Non. Nous mangions plus de 1 kilo de pain par jour et par habitant au début du XXe siècle contre moins de 100 grammes en moyenne aujourd’hui. Mais nous restons très attachés au bon pain. C’est ce qui nous manque le plus à l’étranger, devant le vin et les fromages. Nous en mangeons sous d’autres formes, dans les burgers et surtout les pizzas, où nous sommes recordmen mondiaux avec les Américains.
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