Il n’y a plus guère que dans les films de braquage qu’on prête attention aux caméras de surveillance. Ces petites disgrâces font aujourd’hui partie du paysage de nos villes, au même titre que les clôtures qui ceinturent désormais le moindre projet résidentiel. La critique a fini par les accepter comme une concession faite à l’époque, un détail imposé avec lequel l’architecture est bien obligée de composer. Pourquoi alors celles qui surplombent l’entrée du Pathé Palace, nouveau vaisseau amiral du groupe Pathé installé dans le bâtiment qui abritait jadis le Gaumont Opéra, au coin du boulevard des Capucines et de la rue de la Chaussée-d’Antin, à Paris, accrochent-elles à ce point le regard ?
C’est parce qu’entre ces objets paranoïaques que Roland Barthes aurait pu, s’il était encore vivant, considérer comme une mythologie du temps présent, et la façade en pierre de taille partiellement classée, parfaitement ravalée, de ce bâtiment emblématique du Paris de la Belle Epoque, la greffe peine à prendre. Un hiatus bénin, sans doute, mais dont la réverbération persiste tout au long de la visite, comme ces taches de lumière qui continuent de vibrer une fois qu’on a fermé les yeux.
C’est que cette dissonance opère comme un révélateur. Elle matérialise le glissement sémantique qui est au fondement du projet de « cinéma haut de gamme » imaginé par Jérôme Seydoux, le puissant patron du groupe Pathé, pour cet immeuble qu’il a racheté en 2017 – et le malaise qu’il procure chez un visiteur un tant soit peu cinéphile.
Plus qu’un multiplexe, le Pathé Palace est un lieu où l’on vient chercher une expérience « exclusive ». Le ticket d’entrée est à 25 euros. Cela peut sembler cher, et ça l’est. C’est fait exprès. Cela fait partie du concept. Car ce n’est pas le film que l’on paie. C’est le fait d’être assis dans l’un des 854 fauteuils club en cuir, inclinables comme un siège d’avion de business class, chauffant qui plus est. C’est la technologie dernier cri des projections : écrans Onyx LED, son Dolby Atmos, projection Dolby Vision et, bientôt, même en argentique. C’est le service de conciergerie qui permet de commander à l’avance boissons et confiseries, de se les faire déposer, avant son arrivée, sur la tablette de son siège, de se faire livrer, une fois dans l’une des sept salles, un plaid (pourquoi une telle obsession pour la température corporelle des spectateurs ?), de réserver un taxi…
Le décorum joue son rôle dans l’expérience. La signature de Renzo Piano, architecte lauréat du prix Pritzker 1998, aussi, à qui l’on a confié la mission de transformer le bâtiment, ainsi que celle de Jacques Grange, décorateur dont le nom suffit à évoquer l’idée du luxe parisien, recruté pour aménager le bar à cocktails.
Il vous reste 63.09% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.