Deux ans et demi après le début de l’invasion de l’Ukraine, la parole des victimes de violences sexuelles commises par les soldats russes reste rare. Le traumatisme, doublé de l’impossibilité d’accéder aux territoires occupés, y compris par les organisations internationales, rend le travail de documentation difficile. L’ONG SEMA Ukraine, qui organisait une conférence de presse jeudi 13 juin à Paris, rappelle que « ces viols ont commencé dès 2014 », quand la guerre dans le Donbass a commencé, et « se chiffrent par milliers » depuis le début de l’offensive à grande échelle, en février 2022. « Ils touchent majoritairement les femmes, mais également les enfants et les hommes, civils ou militaires toujours détenus dans les prisons russes », précise l’organisation, fondée par des survivantes et soutenue par la Fondation du docteur Denis Mukwege.
Oleksandra Matviichuk, avocate des droits de l’homme, présidente du Centre pour les libertés civiles d’Ukraine et Prix Nobel de la paix 2022, s’efforce de recenser ces crimes depuis 2014. « Beaucoup ne parlent pas, donc ce dont on dispose n’est qu’une petite partie du phénomène », prévient l’avocate. « On commence tout juste à entrevoir l’ampleur de ces violences commises par la Russie », ajoute Florence Hartmann, porte-parole et conseillère politique du procureur général des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda de 2000 à 2006. A ce jour, seuls 209 cas ont été identifiés par le procureur général d’Ukraine. D’autres dossiers sont en cours d’analyse.
En attendant, ces crimes sont, aujourd’hui encore, perpétrés massivement et à huis clos dans les territoires contrôlés par Moscou. « La Russie donne le chiffre de 400 prisonnières dans les territoires occupés. Mais, selon nos données, 2 000 civiles sont actuellement retenues en captivité, dont au moins 80 % subissent des violences sexuelles », explique la journaliste Lioudmila Huseynova, membre de SEMA Ukraine. Celles-ci incluent « le déshabillage forcé, les attouchements sexuels, la torture par des coups et décharges électriques sur les parties génitales, les menaces de viols et les viols eux-mêmes ». Les prisonnières sont, en outre, privées de produits d’hygiène, d’eau, de soins médicaux et de protection juridique.
« Briser le silence »
Ces viols ne sont pas des incidents isolés ou le fait de dérives individuelles, mais une arme de guerre à part entière. « La commission d’enquête de l’ONU a identifié des schémas similaires dans de nombreux endroits et en a conclu qu’il s’agissait d’une politique délibérée et systématique, souligne Florence Hartmann. Cela s’inscrit dans le cadre d’une campagne de persécution contre les civils et les prisonniers de guerre ukrainiens. » Selon l’essayiste, « il ne s’agit donc pas de simples crimes de guerre. Ces viols sont constitutifs de crimes contre l’humanité ou de génocide, selon l’intentionnalité ».
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