Gilles Richard est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Rennes-II, spécialiste de l’histoire des droites. Elève de René Rémond et de Serge Berstein, il a publié en 2017 une Histoire des droites en France. De 1815 à nos jours (Perrin) et est président de la Société française d’histoire politique.
Dans votre livre, vous affirmez que le clivage droite(s)-gauche(s) a progressivement été remplacé par un clivage entre deux familles de droite. De quelles droites parlez-vous ?
Dès 1997, au congrès du Front national (FN) de Strasbourg, le frontiste Bruno Mégret annonce l’émergence d’un nouveau clivage politique. Désormais, le combat opposera les « mondialistes » aux « nationalistes ». Une idée que Marine Le Pen a largement reprise, préférant l’expression « patriotes ». En 2002, la fracture annoncée se réalise : au second tour de l’élection présidentielle, les Français ont le choix entre un candidat libéral et européiste, Jacques Chirac, et un candidat nationaliste identitaire, Jean-Marie Le Pen. Même scénario en 2017, puis en 2022, mais, cette fois, le second tour n’est plus une surprise. Le changement est acté, et le clivage droite(s)-gauche(s) a bien été remplacé par une opposition entre deux familles de droite.
Pouvez-vous revenir sur cette recomposition du spectre politique ?
D’évidence, cette recomposition ne s’est pas faite en un jour. La bascule, ce fut la victoire de Valéry Giscard d’Estaing à l’élection présidentielle de 1974. La famille libérale s’impose pour la première fois, alors qu’elle avait jusque-là toujours partagé le pouvoir avec d’autres. A partir du septennat giscardien, l’intégration de la nation française dans une Europe supranationale ne cesse d’avancer, centrée autour du marché commun. En parallèle, le mouvement ouvrier s’effondre, face à la désindustrialisation du pays et au chômage de masse. Ses représentantes, les gauches, s’affaiblissent, avec un Parti communiste français (PCF) déclinant et un Parti socialiste (PS) qui renonce progressivement à « changer la vie ». Dès lors, le libéralisme peut prospérer et affaiblir la République sociale, bâtie par à-coups depuis les premiers acquis du Front populaire.
Dans ce double contexte marqué par la forte montée du libéralisme et l’affaissement du mouvement ouvrier, le FN, fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen, a pu pousser son projet nationaliste identitaire. Le parti joue sur une crise de l’identité nationale, marquée par la perte de puissance économique, le déclin de la France dans le monde et l’intégration européenne. Il capte aussi les contestations sociales, promettant des solutions de nature nationaliste : renforcer les frontières, chasser les immigrés, réindustrialiser, plus tard réinstaurer le franc, sortir de l’Union européenne (UE)… Petit à petit, le parti parviendra à récupérer les classes populaires, le cœur de l’électorat des gauches. L’incapacité de la gauche mitterrandienne à incarner une alternative, après le « tournant de la rigueur » de 1983-1984, renforce ce processus. Le FN réalise ainsi sa première percée électorale aux élections européennes de 1984, totalisant 10,95 % des suffrages.
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