
Dans l’idéal, Damien Bonnard aurait préféré dégoter un café au petit bonheur la chance. Nous nous serions retrouvés sur une place, nous aurions pris la première rue à droite ou la deuxième à gauche, nous nous serions baladés un moment avant de nous arrêter dans un endroit qui nous aurait fait de l’œil. Mais, par commodité, il nous a donné rendez-vous dans un bar-tabac du 6e arrondissement. « Cela me semble de plus en plus difficile de vivre au moment présent, regrette-t-il. Devoir réserver son siège au cinéma me rend dingue ! Pour voir un film, j’ai besoin de découvrir la salle, de la sentir, de m’installer en me laissant guider par l’instant. »
L’acteur des Misérables de Ladj Ly (2019), vu dans les films de Christopher Nolan, de Wes Anderson et de Yorgos Lanthimos, a beau avoir été nommé quatre fois aux Césars et être, à l’instant même, mégaéclairé par un plafonnier entortillé dans une guirlande, il passe incognito. Avec son pardessus, sa moustache et son roman noir, il fait penser à l’un de ces détectives privés d’antan, du genre à rester tranquille, à observer et à filer en douce.
L’apéro, ça le botte. Discuter pendant des heures, se laisser dériver, approfondir… « On ne peut pas passer notre vie à répondre à des interviews du type “Tu préfères Beyoncé ou Rihanna ?” Bah non, Miles Davis. Dialoguer ne peut pas se limiter à choisir entre A et B. » Il aime le temps long, comme celui des émissions qui ont disparu : « Le Grand Echiquier », « Cinéma, cinémas », « Poésie sur parole », etc. Sur YouTube, il regarde les grands entretiens de la chaîne « Thinkerview », filmés dans un cadre minimaliste, sans frime.
« Je suis un peu à l’ancienne, mais je suis un homme moderne : j’ai un smartphone et même une télécommande universelle, capable d’éteindre n’importe quelle télé, glisse-t-il en dégainant son porte-clés. C’est très discret, vous appuyez trente secondes sur ce bouton et ça coupe tout ! Vous pouvez le faire partout où les chaînes d’info sont en boucle, dans tous les lieux où les écrans envahissent le silence. » Nous aurions volontiers assisté à une démonstration, mais prenons alors conscience que le café n’a pas de télévision et ne passe même pas de musique. Sans doute la raison pour laquelle nous chuchotons spontanément depuis notre premier tchin-tchin. De quoi favoriser les confidences.
« Fouiller au-delà des flashs d’info »
Si Damien Bonnard a choisi ce bar, c’est parce qu’il y passe de temps en temps acheter des cigarettes, mais surtout parce qu’il s’appelle Le Québec. Ça lui rappelle la première fois qu’il a joué un rôle, avant même d’être comédien. Rembobinons. C’était dans les années 2000. Après avoir étudié aux Beaux-Arts de Nîmes, le jeune homme passe deux ou trois ans à Bruxelles auprès de la peintre abstraite Marthe Wéry, travaille sur des chantiers à Paris, reste un an dans un labo du CNRS spécialisé dans la fabrication de diamant artificiel et finit par s’envoler pour le Nouveau-Brunswick afin de récolter des fougères. Mais la saison tombe à l’eau.
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