Des tribunes dans la presse, des forums sur Internet, des tables rondes et des journaux professionnels qui consacrent des dizaines de pages au sujet. Depuis 2022, le monde de la radiologie n’a plus que ce mot à la bouche : la « financiarisation » du métier. Et les dérives qu’elle pourrait entraîner.
L’enjeu est tel qu’un collectif de radiologues, baptisé Corail (pour Collectif pour une radiologie indépendante et libre), s’est monté la même année pour inciter les jeunes diplômés à réfléchir au réseau d’imagerie dans lequel ils engageront leur vie professionnelle. « On leur dit de ne pas se lancer au hasard et de bien comprendre ce qu’impliquent les différents modèles qui s’offrent à eux : travailler au sein d’un réseau d’imagerie indépendant, contrôlé par les médecins qui y exercent, ou au sein d’un groupe piloté par des financiers », explique Paul-Gydéon Ritvo, l’un des fondateurs du collectif.
L’offensive récente des fonds d’investissement – qui multiplient les participations dans le secteur – a fait naître des craintes au sein de la radiologie libérale, relayées par son puissant syndicat, la Fédération nationale des médecins radiologues. « Le mouvement a débuté en 2016, commente son président, Jean-Philippe Masson, mais ça va vite. Aujourd’hui, 15 % à 20 % des cabinets d’imagerie sont dans les mains d’acteurs financiers, avec des professionnels qui perdent le contrôle de leur outil de travail. On doit stopper cette évolution, on ne veut pas finir comme les biologistes. » La biologie médicale privée a en effet connu entre 2010 et 2020 une transformation sans précédent, marquée par des rachats massifs de laboratoires par des groupes financiers, au point que les indépendants ne représenteraient aujourd’hui que 25 % du secteur.
Les radiologues ne sont pas les seuls à s’inquiéter. Le sujet mobilise également la médecine libérale dans son ensemble, ainsi que les politiques et les pouvoirs publics : dans son rapport « charges et produits » de juillet 2023, l’Assurance-maladie ne cache pas sa préoccupation ; le Sénat a lancé en mars une mission d’information sur la question, avec des recommandations attendues pour l’été ; et la direction générale de l’offre de soins est en train de constituer une task force pour mieux appréhender le phénomène.
Un secteur solvable et sûr
Si le sujet provoque autant d’émoi, ce n’est pas parce que de l’argent privé s’immisce dans le système de santé. Offre de soins et financements publics et privés coexistent depuis longtemps en France, et ce principe est accepté tant que le capital reste stable et que l’indépendance des professionnels de santé est garantie. « Ce qui pose question, c’est qu’il s’agit ici d’acteurs strictement financiers pour qui la santé est un produit spéculatif, qui doit nourrir des actionnaires », déplore le sénateur (groupe Socialiste, écologiste et républicain) de Paris et médecin généraliste Bernard Jomier, corapporteur de la mission au Sénat, qui y voit « une fuite de nos cotisations en dehors du système de soins ».
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