
« La Vie d’outre-tombe du roi Salomon », de Marc Bloch, préface de Florence Hulak, postface de Julien Théry, PUL, « Lignes de partage. Essentiels », 112 p., 10 €.
En sciences sociales, la production la plus pointue des chercheurs reste souvent confidentielle. En publiant La Vie d’outre-tombe du roi Salomon, de Marc Bloch, les Presses universitaires de Lyon font le pari d’un livre accessible financièrement et intellectuellement, dans le but de lancer la plus large réflexion critique autour de la fabrique de l’histoire.
L’auteur, Marc Bloch (1886-1944), assassiné par l’occupant nazi pour son action de résistant, incarne l’engagement intellectuel ultime. Figure tutélaire, l’historien, à l’initiative de la revue des Annales (1929), toujours très lu et cité pour L’Etrange Défaite, écrit en 1940, et pour Apologie pour l’histoire, entre 1941 et 1943, est bien moins connu pour ses travaux médiévistes, pourtant fondateurs. Parmi ceux-ci, cette courte étude consacrée au roi Salomon, réputé avoir écrit plusieurs parties de la Bible hébraïque et bâti le premier temple de Jérusalem. Paru en 1925, l’article était passé inaperçu, puis avait sombré dans l’oubli.
Spécialiste de la philosophie de l’histoire, Florence Hulak décrit en préface la place de ce travail précoce dans l’œuvre de l’historien : « Cette réflexion, que Bloch n’a jamais développée par la suite, aurait pu donner lieu à un livre bien plus ample. L’article, très inventif et audacieux dans sa méthode, confronte des sources de natures très différentes » – récits légendaires, textes de prières, controverses théologiques, iconographie.
Diversité des sources
Mû par sa curiosité pour le personnage du roi Salomon, Marc Bloch appréhende le religieux « dans une logique globale et non comme une sphère autonome », explique Julien Théry, médiéviste et auteur de la postface, joint, comme sa consœur, par « Le Monde des livres ». La religion s’inscrit dans la société de son temps. Lorsque certains talmudistes de l’Antiquité mirent en doute la place de Salomon au paradis, c’était au sein d’un courant hostile à sa lignée alors au pouvoir. Plus tard, dans le christianisme occidental, la question de son salut posa problème. L’antijudaïsme de l’Eglise pesa certainement dans le rejet du roi biblique. D’autre part, les infidélités de ce dernier au dieu monothéiste, qui plus est pour complaire à des femmes, le condamnaient dans un contexte de renforcement des interdits charnels.
« Sans jamais passer par l’abstraction ou la moindre référence théorique, la démonstration est portée par le commentaire des documents, rendant le texte d’autant plus agréable à lire », précise Florence Hulak. Au fil de cette exploration entraînante, d’une écriture élégante et raffinée, Bloch n’ouvre rien de moins que le champ de l’anthropologie historique telle qu’elle sera pratiquée des décennies plus tard par Jacques Le Goff (1924-2014) et ses élèves – « la réédition en 1983 des Rois thaumaturges, de Bloch [1924], préfacée par Le Goff, constitua d’ailleurs le chef-d’œuvre inaugural de l’histoire des mentalités », poursuit Julien Théry.
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