
« Je suis historien des images. Je sais qu’il faut les laisser faire, sans les encombrer de mots qui les commentent. Celles qu’on a produites, il faut les laisser se frayer un chemin vers nos imaginaires », professe l’historien Patrick Boucheron qui, au côté de Thomas Jolly, a contribué (« un parmi deux mille », reprend-il) à construire cette cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques 2024 qui a séduit la Terre entière… « Pour moi, c’est un moment de joie politique profonde. On a pris une responsabilité énorme. On peut le dire : c’est un succès. Il y a quelques jours encore, on ne savait pas ce que cela produirait. »
Mais voilà, le rideau à peine tombé – ou plutôt le ballon portant la flamme s’élevant haut dans les airs – qu’aussitôt passé l’éblouissement, la polémique est venue. Pas, comme il est d’usage dans les buvettes de théâtre, sur le jeu des acteurs ou la présence des sponsors. Non : sur le message politique. Et dans cette bronca menée tambour battant par l’extrême droite, c’est son nom à lui, Patrick Boucheron, qu’on a vu porté aux bouts des piques.
Universitaire brillant, auteur prolifique – dont l’Histoire mondiale de la France (Seuil, 2017), un ouvrage collectif, pavé de 1 000 pages vendu à plus de 200 000 exemplaires, qui s’était déjà attiré les foudres de la droite –, Patrick Boucheron se voit derechef montré du doigt comme la cheville ouvrière de cette offense à la « vox tradi » : « Les grands artisans de ce spectacle (Macron, Boucheron, Hidalgo…) ont pris en otage la beauté de Paris », n’a pas hésité à écrire sur X, Eric Zemmour.
L’éminent professeur au Collège de France, ainsi propulsé au rang d’homme politique, n’en demandait pas tant. Refusant, dit-il, d’entrer dans ces polémiques qu’il ne juge « pas à la hauteur de l’émotion collective que l’événement a fait naître », il aimerait ne pas remettre un jeton dans la machine à diviser quand tout le but du travail effectué dans l’écriture de la cérémonie – aux côtés de l’écrivaine Leïla Slimani, de la scénariste Fanny Herrero et du dramaturge Damien Gabriac – était de rassembler. On le sent agacé : « Je refuse d’être sans cesse renvoyé vers la fachosphère par les journalistes qui veulent que je la commente. Est-il si difficile de se sevrer de ce shoot quotidien ? »
Tenter de retisser la toile d’une fierté française
Pour autant, il y a un moment que l’universitaire a décidé qu’on ne pouvait pas laisser l’Histoire aux mains d’une droite traditionaliste prête à la malaxer sans scrupule. « Lorsqu’il y a deux ans j’ai accepté de participer à ce projet, c’est aussi en tant qu’auteur de Conjurer la peur [Sienne, 1338. Essai sur la force politique des images, 2013. Le Seuil]. Nous avons imaginé cette cérémonie comme un manifeste contre la peur. Pourquoi faudrait-il se laisser intimider par des idéologues, virtuoses dans l’art de détester ? Ils veulent nous séparer au seul motif que nous sommes différents, quand tant de gens continuent à vouloir vivre ensemble. »
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