« Dans l’arène ennemie. Textes et entretiens. 1966-1999 », de Monique Wittig, édité par Sara Garbagnoli et Théo Mantion, Minuit, 358 p., 22 €, numérique 26 €.
Le souvenir est resté étonnamment précis. Monique Wittig a 12 ans. Elle effectue sa communion solennelle. Alors qu’on lui demande d’affirmer sa foi comme une adulte, elle tente de se projeter dans la suite de son existence, hésite, et tranche : « Ce jour-là, (…) j’ai pris la décision de ne jamais me marier, raconte-t-elle en 1979 dans un entretien. Je n’aurais pas une vie de femme qui sert un homme, qui n’a pas de vie à elle. » Naissance d’une féministe, dans la nef même de l’église.
Rien que pour cet entretien publié pour la première fois dans sa version intégrale, le recueil de textes rares ou inédits et d’interventions diverses publié sous le titre Dans l’arène ennemie mérite qu’on s’y plonge. Monique Wittig (1935-2003) n’y est pas encore l’icône féministe et lesbienne, la statue révérée d’aujourd’hui. Simplement une femme qui écrit, agit, tâtonne, et entre « par effraction » dans un monde qu’elle entend bousculer.
Son premier coup d’éclat : la publication d’un roman au titre déroutant, L’Opoponax (Minuit, 1964). Il raconte un amour entre deux petites filles. Les lecteurs se focalisent sur l’enfance, si bien recréée. Nul ne relève le féminisme du texte et son aspect lesbien. Wittig, qui cherchait un cheval de Troie pour se lancer « dans l’arène ennemie » et « y faire passer quelque chose », a réussi son coup. Elle décroche le prix Médicis.
De quoi lui donner des armes pour la suite. Au fil des textes, la romancière intervient pour parler de Godard, de Flaubert ou de son idole Nathalie Sarraute (1900-1999). Mais ses mots, elle les utilise surtout pour transformer la langue elle-même, l’arracher à la domination masculine. Bien avant les débats sur l’écriture inclusive, elle joue sur les pronoms pour éviter le masculin faussement neutre et offrir un « contre-texte féminin ». Au « on » de L’Opoponax succèdent le « elles » des Guérillères (Minuit, 1969) puis le « j/e » déchiré du Corps lesbien (Minuit, 1973). Dans un texte publié anonymement par le mensuel du Mouvement de libération des femmes (MLF), Le torchon brûle, en 1973, et avec sa signature dans la revue Minuit, surgit aussi un « moie » très féminin : « Donne moie ton moie que j/e m//y noie. »
Parmi les plus radicales
Poésie, sexe, amour et politique indissociablement mêlés : le recueil offre une immersion vivifiante dans le bouillonnement féministe des années 1970. Cofondatrice du MLF, Monique Wittig s’inscrit d’emblée parmi les activistes les plus radicales. « Nous les femmes nous sommes vraiment les serves de l’histoire », « la classe la plus anciennement opprimée », enrage-t-elle dès 1970. Mais, très vite, elle remet en question la notion même de femme, une construction sociale à ses yeux. Elle concentre son attention sur les lesbiennes, opprimées parmi les opprimées, invisibles, étouffées.
Il vous reste 21.92% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.