« Y a deux odeurs que je kiffe dans la vie : celle du chlore et celle de l’hôpital. Je te jure, elles me rendent ouf. D’abord, celle de l’hôpital : mon petit frère, il n’y a pas longtemps, on a cru qu’il s’était cassé le pied alors on est partis direct aux urgences avec ma mère. Et là, wesh ! J’étais trop contente : genre tous les médecins, ils étaient avec leurs stéthoscopes et tout. Je les regardais, je me disais : “Ça, c’est moi plus tard.” Chirurgienne. Aux urgences. Où ça bouge. Comme dans [la série] Grey’s Anatomy, je kiffe. Qu’il y ait du sang mais, en même temps, pas trop, parce que, là, je suis en terminale et la prof de SVT [sciences de la vie et de la Terre], elle a rapporté des cœurs de dinde de chez le boucher. Ils étaient énormes et pleins de sang et ça m’a dégoûtée. Donc du sang, d’accord, mais un truc entre les deux. C’est pareil : j’avais regardé Descendants of the Sun [2016], sur Netflix, une série coréenne qui se passe pendant la guerre, avec une docteure qui est juste trop stylée. Mais je me suis rendu compte que c’était beaucoup trop hard-core d’être médecin militaire. Je l’ai donc enlevé de ma liste, tout comme médecin généraliste : tu es dans ton bureau, c’est la routine, c’est nul ; et j’ai viré aussi médecin de campagne. Te retrouver seule face à deux cents personnes ? Non merci. Moi, je veux être chirurgienne et en ville. Mais de quoi ? Je ne sais pas encore.
Et là, je suis super fière. En septembre, je commence la fac de médecine de Grenoble. J’habite juste à côté, à Voiron. C’est à vingt-trois minutes en train. Je n’ai même pas pensé aller plus loin, ma mère elle ne m’aurait jamais laissée faire. Je te jure, je pars une semaine avec la classe, elle pleure : “Je ne veux pas que tu partes, ma fille chérie !” Elle ne peut pas se passer de moi. Mais moi non plus. On s’appelle dix, quinze fois par jour. Déjà, juste d’aller toute la journée à Grenoble, je ne sais pas comment je vais faire. Vraiment, je te jure. Il va y avoir un manque. Toute ma vie, j’ai mangé chez moi à midi. Au collège. Au lycée. Toujours. Là, comment je vais faire ? Je ne vais pas manger des pizzas surgelées dégueulasses et qui coûtent cher. Alors on a prévu le truc. Ma mère, elle me préparera des repas que je prendrai avec moi. Couscous, tajines, seffa. Le seffa, c’est un truc de ouf. C’est genre un plat de fête, mais elle te le fait, tout simplement, pour le déjeuner, comme si de rien n’était. Y a du poulet, des vermicelles, du sucre glace et de la cannelle. C’est tellement bon. Je vais être bien.
Il vous reste 76.23% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.