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Une nouvelle fusillade a éclaté aux Etats-Unis, mercredi 14 février, à Kansas City, en marge de la célébration du Super Bowl. Un premier bilan fait état d’un mort et vingt et un blessés par balle. En réaction à ce drame, le président des Etats-Unis, Joe Biden, a pointé une nouvelle fois la responsabilité des armes à feu : « Nous prions pour ceux qui ont été tués et blessés aujourd’hui à Kansas City, et pour notre pays afin qu’il trouve la détermination de mettre fin à cette épidémie insensée de violence par armes à feu qui nous déchire. »
De quoi relancer le débat sur le deuxième amendement de la Déclaration des droits qui autorise aux citoyens américains de « porter et détenir des armes » et de se constituer en « milice bien organisée » depuis 1791. Aujourd’hui encore, ce droit historique reste primordial pour les Américains, même si les armes et leurs victimes sont chaque année plus nombreuses dans le pays.
Quelles sont les origines du deuxième amendement ?
Après leur Déclaration d’indépendance (1776) et la rédaction de leur Constitution (1787), les Etats-Unis ont ajouté en 1791 une Déclaration des droits à la Constitution (cinquième article) pour limiter les pouvoirs de l’Etat fédéral (central) vis-à-vis des Etats fédérés. Au nombre de quatorze au moment de l’adoption de ce texte, ces territoires dirigés par des gouverneurs jouissent de pouvoirs exécutifs propres, distincts de ceux de l’Etat fédéral.
Avant l’adoption de cette Déclaration des droits, d’où provient le deuxième amendement, les Etats-Unis se trouvaient dans une situation assez particulière. La menace britannique n’était toujours pas écartée malgré leur victoire contre le Royaume-Uni, en 1783. Les forces policières et militaires de cette nation naissante étaient encore limitées, et la crainte de voir arriver un pouvoir tyrannique à la tête de l’Etat fédéral subsistait dans l’esprit des pères fondateurs de la Constitution et des Etats fédérés.
James Madison, rédacteur de la Déclaration des droits, estimait donc nécessaire d’offrir aux citoyens américains la possibilité de s’armer et de se réunir en « milice » pour se sécuriser. « A cette époque, nous sommes dans un contexte où les fédéralistes et les antifédéralistes s’opposaient, rappelle le politologue spécialiste des Etats-Unis Didier Combeau. Cet amendement prévoyait que chaque Etat fédéré puisse se doter d’une armée de conscription. Un moyen pour eux de garder un pouvoir vis-à-vis de l’Etat fédéral. »
Les Etats du Sud, esclavagistes, étaient aussi frileux à l’idée de se réunir avec ceux du Nord, mais ils ont finalement ratifié la Constitution et la Déclaration des droits grâce à l’opportunité qu’offrait ce deuxième amendement : se constituer en groupe armé pour garder la main sur les populations esclaves, jusqu’à quatre fois supérieures en nombre aux hommes libres, à cette période.
Les armes à feu sont définitivement entrées dans la culture américaine durant le XIXe siècle, avec la conquête de l’Ouest. Elles sont d’abord idéalisées par « les fabricants d’armes, comme Samuel Colt » qui construisent un récit fantasmé sur « le rôle des armes lors de la construction des Etats-Unis », rappelle M. Combeau. Puis mystifiées par les cinéastes américains au siècle suivant, qui leur accordent une place de choix, notamment dans les westerns.
L’Etat fédéral actuel peut-il modifier le deuxième amendement ?
Le gouvernement fédéral n’a pas la possibilité d’abroger ou de modifier ce texte sur le droit de s’armer. D’après le dixième amendement de la Déclaration des droits, les pouvoirs qui ne sont pas donnés à l’Etat fédéral par la Constitution appartiennent aux Etats fédérés. Cependant, des « moyens détournés » existent pour contourner cette norme constitutionnelle de 1791, assure Didier Combeau, auteur de l’article « Les Américains et leurs armes » (Revue française d’études américaines, 2002) : « Le gouvernement fédéral peut donner des subventions aux Etats fédérés pour les inciter à plus réglementer sur la question des armes. Il peut aussi légiférer sur le commerce [d’armes] entre les Etats fédérés. »
Plusieurs dispositions ont déjà été mises en place pour encadrer partiellement ce deuxième amendement dans l’ensemble des Etats-Unis, comme :
- le National Firearms Act (1934), pour taxer la fabrication et le transfert de certaines armes à feu ;
- le Gun Control Act (1968), imaginé après l’assassinat du président John Fitzgerald Kennedy en 1963, pour restreindre l’accès aux armes pour certaines catégories de la population, comme les criminels ;
- le Gun-Free School Zones Act (1990), pour interdire à certaines personnes le port d’arme à feu dans les zones scolaires ;
- le Brady Act (1993, nommé en mémoire de l’attaché de presse James Brady, lourdement blessé après la tentative d’assassinat du président Ronald Reagan), pour demander la vérification des antécédents des personnes souhaitant acheter une arme à feu ;
- le Bipartisan Safer Communities Act (2022), adopté après la tuerie d’Uvalde (21 morts dont 19 enfants), pour renforcer la vérification des antécédents des acheteurs d’arme âgés de 18 ans à 21 ans, mieux contrôler la vente illégale d’armes et financer des programmes consacrés à la santé mentale.
Les nombreuses tueries de masse qui se sont déroulées ces dernières années ont renforcé la mobilisation des présidents américains du camp démocrate sur ce sujet. Encadrer le droit de s’armer sur le sol américain était même l’une des priorités de Barack Obama lors de sa présidence (2009-2017). Mais ces tentatives de réformes se sont soldées par autant d’échecs du fait de l’opposition du Sénat. Joe Biden, élu en 2022, a obtenu plus de réussites, avec l’adoption du Bipartisan Safer Communities Act et la mise en place du Bureau fédéral pour la prévention de la violence armée, en septembre 2023.
Les Etats fédérés peuvent-ils aller plus loin que le deuxième amendement ?
Les cinquante Etats fédérés ont la compétence politique pour durcir ou assouplir la législation sur la question des armes, en vertu du dixième amendement de la Déclaration des droits. Ils ont le pouvoir d’imposer le permis pour porter ou acheter une arme, de contrôler les antécédents des acheteurs et d’interdire certains types d’armes à feu.
Le Monde
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Concernant le permis pour détenir une arme, huit Etats fédérés (la Géorgie, l’Indiana, la Louisiane, l’Ohio, l’Alabama, la Floride, le Nebraska et le Dakota du Nord) ont décidé de ne plus l’imposer au cours de ces deux dernières années. Au total, vingt-sept Etats fédérés autorisent la possession d’armes à feu sans licence.
Quel est le niveau d’armement aux Etats-Unis ?
Le nombre d’armes à feu en circulation est supérieur à la population américaine. Selon le dernier décompte de l’observatoire Small Arms Survey, il y avait 393 millions d’armes à feu pour 325 millions d’habitants américains en 2017. Avec un tel ratio (120 armes à feu pour 100 habitants), les Etats-Unis sont en tête du classement mondial, devant le Yémen (52,8 armes pour 100 habitants) et le Monténégro (39,1 armes pour 100 habitants).
Les productions de pistolets, de revolvers, de fusils, de fusils à pompe et de toutes autres armes à feu ont fortement augmenté dans le pays au cours de ces vingt dernières années, passant d’environ 3,4 millions d’armes à feu fabriquées en 2002 à 13,4 millions en 2022, selon les chiffres du ministère de la justice américaine.
Cette tendance s’est accompagnée d’une hausse de la mortalité ces dernières années. Au cours de la dernière décennie, plus de 40 000 personnes ont été tuées chaque année, par homicide ou suicide, du fait des armes à feu, selon le site Gun Violence Archive. Un niveau nettement plus élevé que d’autres pays industrialisés. A titre de comparaison, la France ne comptait « que » 1 594 morts par arme à feu en 2014, selon les derniers chiffres disponibles.
Quel est l’état de l’opinion publique américaine ?
Deux tiers des Américains se déclaraient en faveur d’une réglementation plus stricte du droit de s’armer, selon un sondage USA Today/Ipsos en 2021. Les fusillades de masse semblent inquiéter de plus en plus une partie des Américains. Même si l’immense majorité « des personnes tuées [par arme à feu], le sont dans des rixes quotidiennes », rappelle Didier Combeau, qui insiste sur le fait de ne pas surinterpréter ce résultat de sondage : « Les Américains favorables à la réglementation souhaitent qu’on empêche aux gens dangereux d’avoir des armes à feu. Ils ne sont pas forcément “contre” les armes. Aux Etats-Unis, on se focalise sur les gens. Le fait d’avoir une arme pour un citoyen honnête n’est pas un danger en soi. En France, à l’inverse, ce sont les armes qui sont catégorisées. »
Cet attachement des Américains aux armes à feu est renforcé par le travail d’influence des lobbys proarmes, comme la National Rifle Association (NRA) of America, depuis les années 1960. Cette association, créée en 1871, a un grand poids politique. Elle finance par dizaines de millions de dollars des campagnes électorales, comme celle de Donald Trump en 2016, et attribue des notes (de A à F) aux responsables politiques en fonction de leur positionnement sur l’armement.
Cependant, la NRA traverse actuellement une période trouble. En 2020, la procureure générale de l’Etat de New York, Letitia James, a tenté de dissoudre l’association en intentant un procès pour fraude financière. Son ancien vice-président historique, Wayne LaPierre, a par ailleurs été contraint à la démission en janvier 2023, avant de comparaître dans un procès de détournements de fonds à des fins personnelles. Malgré ces déboires, la NRA compte toujours plus de quatre millions d’adhérents, et reste une véritable boussole politique pour nombre d’Américains.
Mise à jour, le 15 février à 15 h 55 : ajout de la mention de la démission de Wayne LaPierre.