Quand on lui demande son âge, Olivier Fontaine éclate de rire : « Le même que Brad Pitt » à quelques mois près : 61 ans, donc, et le sens de l’humour, vu le décor dans lequel ce chômeur de longue durée promène son vieux chien. Autour de lui, la cité des Andrillons regroupe des HLM décatis, dont les façades blanchâtres se détachent tristement sur la verdure environnante. Situé à deux pas du centre-ville de Fleury-les-Aubrais, l’ensemble fait partie d’un quartier prioritaire de la politique de la ville, autrement dit l’une des trois poches de pauvreté que compte cette agglomération du Loiret, en lisière d’Orléans.
Sur ce territoire où vivent aujourd’hui 21 500 personnes, des rangées de constructions sans charme ont poussé en désordre le long du nœud ferroviaire des Aubrais. Aux cheminots de l’après-guerre s’est ajoutée une population plutôt jeune et modeste, composée de 15,4 % d’étrangers en 2020, selon l’Insee.
Avant d’atterrir aux Andrillons, dans l’appartement bien tenu qu’il occupe avec son fils de 21 ans, Olivier Fontaine a exercé différents métiers, de directeur commercial jusqu’à chauffeur-livreur. L’homme est originaire d’une famille aisée de Versailles, il a le verbe haut et le contact facile. Apercevant, de loin, la maire socialiste de la commune, il la hèle par son prénom. Il l’aime bien, cette élue socialiste qui dirige la ville depuis 2020.
Carole Canette est une quinquagénaire proche de ses administrés, qui se démène pour améliorer la vie des habitants, à commencer par leur accès aux services publics. Ce qui n’a pas empêché M. Fontaine de se précipiter à l’hôtel de ville, dès le matin du 10 juin, pour essayer de s’inscrire sur les listes électorales avec une idée fixe : apporter sa voix au Rassemblement national (RN). Pas question, cette fois, de voter en faveur du Parti socialiste, comme il l’a fait des années durant. Son choix est clair et il l’exprime sans réticence. Comme si le résultat du parti d’extrême droite aux européennes (27,5 % des suffrages à Fleury, 34,8 % à l’échelle du département, 40,9 % dans la circonscription) lui donnait soudain des ailes.
Pour lui, comme pour nombre de Fleuryssois, la victoire de la tête de liste du RN, Jordan Bardella, semble avoir ouvert des horizons. Des pudeurs sont tombées, des barrières se sont ouvertes. Une aide-soignante d’origine algérienne qui a voté pour la candidate Renaissance, s’inquiète déjà de voir ses voisins « changer d’attitude depuis le 9 juin ».
Il ne s’agit pas à proprement parler d’espoir chez ceux qui soutiennent le RN – la plupart des personnes interrogées se font peu d’illusions sur l’amélioration de leurs conditions de vie –, mais d’une colère rappelant celle des « gilets jaunes » : contre la baisse du pouvoir d’achat, l’insécurité, les déserts médicaux, les labyrinthes administratifs, et surtout ces « élites » dont Emmanuel Macron serait l’emblème. Un mélange de revanche et d’excitation, où le fatalisme cohabite avec un sentiment de puissance éphémère. Sait-on jamais ? « Après tout, le RN est le seul parti qu’on n’ait encore pas essayé », finissent-ils par lancer.
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