LETTRE DE BANGKOK
Pour les 70 ans de la victoire de Dien Bien Phu en 1954, qui permit à la République démocratique du Vietnam d’Ho Chi Minh d’obtenir le retrait de la France d’Indochine, 12 000 soldats et policiers vietnamiens vont défiler le 7 mai prochain dans le stade de ce qui est devenu une petite ville, dans le nord-ouest du pays, pour une grande parade commémorative aux couleurs du drapeau rouge à l’étoile d’or.
On y verra notamment des répliques des bicyclettes customisées pour transporter jusqu’à trois cents kilos de riz sur les chemins qui ravitaillaient à travers la forêt les troupes vietminh jusqu’au pourtour de la « cuvette », cette plaine que l’état-major français croyait avoir transformée en forteresse imprenable. Une piste d’atterrissage permettait des rotations d’avions. Plusieurs collines, baptisées de noms de femmes (« Béatrice », « Eliane »…) et tenues par des commandos français, assuraient la défense du QG du général Christian de La Croix de Castries. Mais le piège qu’avait tendu une armée française persuadée de sa supériorité à la guérilla vietminh se referma sur elle.
Le 7 mai prochain, le ministre français de la défense, Sébastien Lecornu, assistera aux commémorations de Dien Bien Phu – la première fois que les autorités vietnamiennes invitent un membre du gouvernement français ce jour-là. En 1993, François Mitterrand, alors premier chef d’Etat occidental à visiter le Vietnam communiste, s’était bien recueilli à Dien Bien Phu, mais à un autre moment de l’année. Il était au Vietnam pour « clore un chapitre et en ouvrir un nouveau », avait-il déclaré. Depuis, seul Edouard Philippe, en tant que premier ministre, s’y est rendu en 2018, lui aussi en dehors des commémorations nationales, pour louer « deux pays réconciliés avec leur passé ».
La « diplomatie du bambou »
Réconciliés mais distants : la relation bilatérale manque de souffle et la présence française est sans envergure dans ce pays de 100 millions d’habitants. Pourtant, le Vietnam revient en force dans le grand jeu régional, celui de l’Indo-Pacifique, vaste réseau d’alliés et d’amis que Washington tricote pour freiner l’expansion chinoise : les Américains ont obtenu du Vietnam fin 2023 de rehausser le statut de leur relation diplomatique au même rang que la Chine et la Russie (la France reste bien en dessous). Ce qui implique une coopération technologique plus étroite, dans le domaine économique mais aussi de la défense, où le Vietnam cherche à sortir de l’orbite russe : les dirigeants communistes vietnamiens déroulent donc le tapis rouge aux patrons de multinationales, en premier lieu américaines.
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