En Amérique du Nord, une organisation travaille à connecter entre elles les principales zones naturelles du continent pour permettre la circulation des grands carnivores. Dans la toundra de l’Extrême-Orient russe, un homme fait renaître l’écosystème de la steppe à mammouths afin d’empêcher la fonte du permafrost, ces sols gelés des hautes latitudes qui renferment d’énormes quantités de méthane et de carbone. En Angleterre, les propriétaires criblés de dettes d’un vaste domaine agricole décident de changer de modèle en laissant des animaux de ferme de races rustiques paître librement aux côtés de la faune sauvage qui s’épanouit. Un peu partout à travers l’Europe, le phénomène de déprise agricole libère des terres qui s’enfrichent et hébergent une nouvelle nature spontanée… Aussi différentes soient-elles, toutes ces expériences se revendiquent d’un même terme : le réensauvagement, ou rewilding en anglais.
Porteur de la promesse d’un regain de la biodiversité, le réensauvagement hante la science écologique depuis une trentaine d’années au cours desquelles il s’est hissé des marges du mouvement environnementaliste radical américain jusque dans les textes sur la restauration de la nature de l’Union européenne. Derrière la multiplicité de ses acceptions, le concept cache un potentiel miroir aux alouettes, provoquant des controverses aussi bien auprès de la communauté scientifique sur sa délimitation exacte ou sa pertinence, que sur le terrain avec des conflits d’usages entre naturalistes et chasseurs ou agriculteurs.
Pour certains de ses partisans, il serait tout simplement le meilleur remède à l’effondrement du vivant : une « solution basée sur la nature », selon une expression en vogue. D’autres chercheurs, notamment en sciences sociales, y voient au contraire un énième faux nez du greenwashing masquant des velléités néocoloniales ou un moyen pour des aménageurs de s’acheter des droits à poursuivre le pillage de la nature.
Enfin, pour une partie du monde rural agricole, il est assimilé à une remise en cause des modes de vie et des pratiques des éleveurs (d’ovins et de caprins principalement mais aussi de bovins) à travers la figure du loup dont le front de colonisation en Europe et en France provoque de graves frictions. Jusqu’au sommet de la Commission européenne. Ursula von der Leyen n’a-t-elle pas elle-même qualifié le canidé de « réel danger pour le bétail et potentiellement pour l’homme », et proposé, après avoir perdu, en septembre 2022, un poney sous les crocs de l’animal, de revoir son statut d’espèce protégée ?
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