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Romain Bardet, en jaune à l’heure du crépuscule

by Marko Florentino
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Romain Bardet, après sa victoire lors de la première étape du Tour 2024, à Rimini (Italie), le 29 juin 2024.

Un corps tout jaune de douleur est descendu du podium du Tour de France. Puis Romain Bardet a dit : « Je suis à un âge où on n’arrête jamais de rêver. » Une expression de contentement lui a traversé le visage. Avec le cycliste français du Team DSM, la joie est secrète. Mais il a retrouvé la forme de mélancolie qui semble l’habiter perpétuellement, ajoutant : « Si on est plus réaliste…  », suivi d’une phrase plus neutre.

Bardet, 33 ans, premier maillot jaune du Tour de France 2024 après sa victoire d’étape, samedi 29 juin, entre Florence (Toscane) et Rimini (Emilie-Romagne), retient les mots et émotions, pour ce qui doit être sa dernière participation à une épreuve qui l’a successivement révélé, transcendé, abîmé, perdu, et dans laquelle il a néanmoins construit un personnage à part du cyclisme français.

Cette première étape du premier grand départ italien du Tour de France restera historique. Mais elle peut aussi prétendre au statut de « rêve » exaucé, par les images qu’elle imprime et ce dénouement qui semblait impossible. Dans le cyclisme contemporain, il est hors de l’entendement qu’un coureur ne comptant pas parmi les favoris attaque dans une côte à 50 kilomètres de l’arrivée – l’ascension de San Leo – et repousse le retour du peloton, en tordant tous ses muscles pour extraire les derniers grammes de force.

Bardet réussit cet exploit. Au terme d’un compte à rebours haletant, craignant d’être rejoint à cinq cents mètres de la ligne. Flanqué d’un seul homme, son jeune coéquipier néerlandais Frank van den Broeck (homonyme du champion belge tragiquement disparu), qui laisse le Français couper la ligne d’arrivée en premier, la tête cramponnée dans les mains, geste incrédule.

La course prend une dimension lumineuse

C’est un peu le rêve des autres que Romain Bardet accomplit. Celui des supporteurs qui attendent l’avènement d’un cyclisme « romantique » – le vocable est souvent convoqué, peu souvent défini, encore moins matérialisé. Les songes des organisateurs du Tour de France également, éprouvés par un départ chaotique près de l’hippodrome de Florence, où les spectateurs avaient sauté par-dessus les barrières et envahi les routes pour approcher leurs héros ; désolés par la désaffection du public à l’arrivée, qui préférait prendre le frais sur les plages privées de Rimini. Pour le Tour, qui a toujours accordé une préférence à Bardet, la course prend une dimension lumineuse.

Mais comment vivait-il ce « rêve », le nouveau maillot jaune ? Interrogé sur cette étape qui pourrait être un accomplissement de sa carrière, devant ses deux places sur le podium final du Tour de France (2016 et 2017), il admettait qu’il rêvait encore, avant de changer d’avis. Il renvoyait l’impression de si peu profiter de cette épreuve, qui lui avait donné le goût de rouler sur les routes d’Auvergne, enfant et adolescent, de gravir le mont Ventoux avec son père, de se mesurer un jour à la légende. C’est un peu normal : cette course, après dix participations, un maillot à pois et quatre victoires d’étapes, a fini par lui nuire.

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