Avec son allure de jeune homme rangé, rien ne distingue Gueorgui des autres buveurs de thé dans ce café romantique, au milieu d’un parc sous la neige, en janvier. On se croirait à Vienne. On est à Kiev, en pleine guerre. Militaire de carrière, 24 ans, Gueorgui raconte une journée particulière : le 29 décembre 2023. Bien avant l’aube, à 2 h 19 du matin, des bombardiers russes MiG-31 K viennent de décoller de la mer Caspienne, à quatre-vingt-dix minutes de la frontière ukrainienne. Dans le pays, l’alerte est donnée. La région de Kiev, où se concentrent les pouvoirs militaires et politiques, est au centre de la mire.
C’est là où travaille l’officier Gueorgui, promotion 2022, même année que le début de l’invasion russe. Il explique avoir rejoint son poste posément, selon son habitude, comme d’autres vont au bureau. Sa fonction fait pourtant partie des plus exposées : opérateur de Patriot, le puissant système américain de protection aérienne, un des rares capables de contrer les missiles balistiques et de croisière, que le président Volodymyr Zelensky a réclamé des mois durant à ses partenaires occidentaux. A chaque bombardement russe, les Patriot sont eux-mêmes devenus des cibles prioritaires.
Dans le poste de contrôle, ce 29 décembre, ils sont deux militaires aux commandes, concentrés à l’extrême, la tête vidée de toute pensée autre que les ordres du commandant, troisième homme de l’équipage. Les Russes vont-ils tirer ? Il leur arrive de faire tourner leurs avions pendant cinq ou six heures, au point de devoir les ravitailler en vol, juste pour affoler la défense et la population ukrainiennes.
Ce 29 décembre, les frappes commencent vers 5 h 15, dont cinq missiles hypersoniques Kinjal tirés à 6 h 30, une bataille à la vitesse du son, missile contre missile. Temps de réaction : quelques secondes, dont chacune est cruciale. Gueorgui dit ne ressentir aucune tension, plutôt une sorte d’apesanteur dans le bourdonnement de l’habitacle, aussi léger que celui de l’air conditionné.
Prodigieux sang-froid
Avant l’arrivée des Patriot, les Russes avaient proclamé qu’aucun système ne pourrait abattre leur Kinjal, qui avait provoqué l’effroi au début de l’invasion, en frappant un entrepôt de munitions dans l’ouest de l’Ukraine. Gueorgui, lui, n’a jamais cru à l’invincibilité du Kinjal. Visage impassible : « On connaît les Russes : avec eux, on peut tout diviser par deux. » Selon un de ses supérieurs, c’est le prodigieux sang-froid de ce jeune officier qui lui a valu d’être parmi les quelques élus sélectionnés pour la formation Patriot aux Etats-Unis, pendant dix semaines.
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