Evoquer les massacres de l’année 1944 oblige d’abord à rappeler qu’ils ne furent pas les seuls. Même dans ce domaine, les heures à la fois exaltantes et tragiques de la Libération tendent à rejeter dans l’ombre les massacres du printemps 1940, dans ce trou noir de la mémoire nationale que représentent l’invasion allemande et la défaite. Ainsi, 92 civils furent massacrés dans le Pas-de-Calais, à Aubigny-en-Artois, les 21 et 22 mai 1940, 135 autour d’Oignies (par ailleurs incendiée) quelques jours plus tard. Sous l’Occupation, la violence s’exerça aussi de manière arbitraire par le biais des exécutions d’otages (834 en France), des déportations, mais aussi à travers les jugements implacables d’une justice militaire allemande très tôt instrumentalisée comme moyen de terreur.
Pour autant, l’année 1944 marque une escalade dans la violence. Plusieurs facteurs expliquent l’enclenchement de cette spirale, à commencer par le développement de la résistance armée. Pour endiguer les sabotages et les attentats, la hiérarchie mise de plus en plus sur une répression aveugle, à l’image de la « directive Sperrle », édictée le 3 février, qui met en demeure les chefs d’unité en Europe de l’Ouest de réprimer sans discrimination les attentats, excluant par avance de sanctionner tout excès de violence.
Cet article est tiré du « Hors-Série Le Monde : 1944 – Des débarquements à la libération de la France », mai 2024, en vente dans les kiosques ou par Internet en se rendant sur le site de notre boutique.
Le résultat ne se fait guère attendre : à la suite d’un sabotage ferroviaire ayant provoqué des dégâts matériels mineurs, un convoi de la 12e division blindée SS massacre 86 habitants d’Ascq (Nord) dans la nuit du 1er au 2 avril. En Bretagne, où tortures et exécutions sommaires de résistants ou de suspects se multiplient jusqu’à l’été, la VIIe armée freine les ardeurs répressives de l’état-major de Rommel, prêt, au mois d’avril, à écraser les maquisards en faisant donner l’artillerie ou en incendiant des villages. Elle plaide l’inefficacité de ces méthodes, préférant s’en remettre à l’action policière du service de sécurité SS.
L’enjeu représenté par le « second front » contribue aussi à la radicalisation de la violence répressive. Dans son discours du Nouvel An 1944, Hitler a indiqué que l’issue de la guerre dépendrait du succès ou de l’échec du débarquement allié à l’ouest – une manière de motiver une société allemande gagnée par le doute et le pessimisme. Aussi, à l’annonce de l’assaut allié sur les côtes normandes, le temps n’est plus aux demi-mesures. Dès le 6 juin, soixante-dix à quatre-vingts détenus de la maison d’arrêt de Caen sont extraits de leurs cellules pour être fusillés sans autre forme de procès – des exécutions qui se multiplient au cours de l’été dans une quinzaine de prisons à travers la France.
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