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Vie et mort de la « République des enfants » de Benposta, en Espagne

by Marko Florentino
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La pyramide formée par les treize arlequins, sculpture de métal aux couleurs délavées par le temps, semble garder l’entrée du chapiteau de cirque. C’est un peu comme s’ils s’entêtaient à rester là, au domaine de Benposta, en Espagne, fief de la Nacion de Los Muchachos (« nation des enfants »), revendiquant envers et contre tout la devise du fondateur de cette insolite congrégation, le père Jesus Silva (1933-2011) : « Les plus forts en bas, les plus faibles en haut et l’enfant au sommet. »

Le chapiteau du Circo de Los Muchachos, le 23 février 2024, sur le domaine de Benposta, près de la ville d’Orense, en Espagne, où a été fondée en 1956 la « République des enfants » du père Silva. Le chapiteau du Circo de Los Muchachos, le 23 février 2024, sur le domaine de Benposta, près de la ville d’Orense, en Espagne, où a été fondée en 1956 la « République des enfants » du père Silva.

Drôle d’endroit que cette micronation, aussi appelée « République des enfants » ou « Ville des enfants »… Ses bâtiments, dressés le long de quelques allées à l’asphalte troué, bordées d’eucalyptus, ne sont plus occupés que par une trentaine de personnes, pour la plupart d’anciens « muchachos » revenus y vivre pour des raisons économiques – ils ne paient pas de loyer –, mais aussi parce qu’ils considèrent ce lieu comme leur.

Nous sommes ici dans le nord-ouest de l’Espagne, non loin de la frontière portugaise. La ville la plus proche est Orense, à cinq kilomètres de là, une paisible commune de 105 000 habitants où tout le monde a entendu parler de la « République des enfants » et de son cirque nés voici près de soixante-dix ans.

La simple évocation de ces « voisins » laisse rarement indifférent. Les uns décrivent une « expérience pédagogique révolutionnaire », menée par un « curé rouge » (comprendre : communiste), « altruiste », quand les autres haussent les sourcils, affirmant avoir « entendu parler » d’un « système presque sectaire » mis en place par un homme « narcissique », ce même Jesus Silva. D’après son propre neveu, Xaquin Silva, cette histoire « a tout de la telenovela », allusion aux feuilletons sans fin orchestrés autour de la figure controversée du patriarche. En Espagne, on ne compte plus les articles et les vidéos revenant sur l’aventure. Une série documentaire inédite en cinq volets est en attente de diffusion sur la plate-forme Amazon Prime.

De gauche à droite : le père Jesus Silva, Fernando Alvarez (dit « Pancracito ») et Salvador Dali, à Paris, hiver 1970-1971. De gauche à droite : le père Jesus Silva, Fernando Alvarez (dit « Pancracito ») et Salvador Dali, à Paris, hiver 1970-1971.

Pour tenter d’y voir plus clair, il faut revenir au milieu des années 1950. Jesus Silva, un prêtre jésuite issu d’une famille bourgeoise d’Orense, rêve de créer une nation de jeunes gens capables de « penser par eux-mêmes », pour en faire des « citoyens libres et indépendants ».

Ce rêve vient de loin. D’après sa sœur, Clara Silva Jensen, 92 ans, il remonte à l’adolescence. « Un jour, raconte-t-elle au Monde, nous avons vu au cinéma Boys Town [sorti en France sous le titre Des hommes sont nés], qui retraçait l’histoire vraie d’une République d’enfants fondée dans les années 1920 par un prêtre, aux Etats-Unis. En sortant, mon frère a dit : “Je veux être curé.” » Dans un documentaire tourné en 1986 à l’occasion des 30 ans de Benposta, Jesus Silva confirmera avoir choisi la prêtrise pour « transformer un peu le monde qui ne [lui] plaisait pas ».

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