« Ravensbrück : le plus grand bordel du IIIe Reich », « Le récit des Espagnoles que les nazis ont prostituées », « L’histoire méconnue du camp de concentration transformé en bordel »… Presque tous les principaux journaux espagnols ont consacré de longs articles pour louer le supposé travail de récupération de la mémoire des femmes espagnoles détenues à Ravensbrück durant la seconde guerre mondiale, de la romancière Fermina Cañaveras dans El Barracón de las mujeres (« Le block des femmes », Espasa, non traduit).
Sorti en janvier, ce « roman historique », qui en est déjà à sa sixième réédition, se présente comme le fruit de quatre années de recherches autour d’un personnage réel, une certaine Isadora Ramirez Garcia, partie en France sur les traces de son frère disparu durant la guerre d’Espagne, avant d’être déportée et, selon l’autrice, prostituée de force dans le camp de Ravensbrück pour des officiers et des soldats SS, de 1942 à 1945. Fermina Cañaveras, militante féministe de 47 ans, licenciée en histoire, assure qu’il est temps de sortir « de l’oubli » la mémoire des déportées à Ravensbrück.
Problème : il n’y a jamais eu de bordel dans ce vaste camp de concentration situé à 80 kilomètres au nord de Berlin et réservé aux femmes et aux enfants, comme le soulignent, en colère, les descendants des détenues, rassemblés dans l’Amicale de Ravensbrück.
Des quelque cent trente mille femmes qui sont passées dans ce camp, moins de deux cent dix ont été prostituées à partir de 1942 et surtout 1943, mais dans des bordels installés dans une dizaine de camps d’hommes, ailleurs, à Buchenwald, Mauthausen ou Auschwitz, selon les travaux les plus récents de l’historien allemand Robert Sommer, auteur de l’ouvrage Das KZ-Bordell (Ed. Brill I Schoningh, 2022, non traduit), référence sur le travail sexuel forcé orchestré par les nazis.
Par ailleurs, leurs « services » n’étaient pas destinés à des SS, comme l’imagine l’autrice – avec un penchant pour les descriptions scabreuses de sévices sexuels plus proches d’une pornographie morbide que de « l’hommage » qu’elle prétend vouloir leur rendre. Ces femmes étaient destinées aux déportés non juifs, afin de stimuler et de récompenser leur travail, selon une idée de Himmler, ainsi qu’à des gardiens de camp ukrainiens. Il s’agissait principalement d’anciennes détenues allemandes et polonaises, classées comme « asociales », parfois d’anciennes prostituées.
« Une réécriture de l’histoire »
Certaines ont été « volontaires », dans l’espoir de survivre aux conditions effroyables des camps, voire d’être libérées au bout de six mois, comme cela leur fut promis. « J’ai identifié près de 90 % des femmes qui ont été contraintes au travail sexuel forcé. Aucune Espagnole n’a été obligée de se prostituer dans les bordels des camps », tranche Robert Sommer, joint par téléphone. Dans ses interviews, Fermina Cañaveras assure pour sa part avoir identifié vingt-six Espagnoles, sans toutefois donner de noms.
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