Une fille de 15 ans giflée, un manifestant éborgné par une grenade, une moto de la police qui roule sur un homme au sol… Près de deux ans après le début du mouvement de protestation contre la réforme des retraites, en janvier 2023, les responsabilités de fonctionnaires de police mis en cause dans des cas allégués de violence n’ont toujours pas été établies.
D’après un recensement réalisé par Le Monde, environ soixante cas ont été portés à la connaissance de la justice, du cabinet du préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) ou de la Défenseure des droits, Claire Hédon, pour la période du 19 janvier au 17 avril 2023, au plus fort des mobilisations.
Sur le plan judiciaire, une seule décision a été rendue, pour des faits reconnus par un agent. La quasi-totalité des autres cas – y compris lorsque des fonctionnaires ont pu être identifiés au cours d’enquêtes internes – n’a fait l’objet d’aucune condamnation ni de la moindre sanction administrative, une prérogative qui revient au ministère de l’intérieur, éventuellement sur proposition de l’IGPN ou de la Défenseure des droits.
« L’instruction est au point mort »
Dix-sept de ces épisodes ont pourtant été documentés par des vidéastes amateurs et recoupés par Le Monde, à commencer par celui d’Ivan S., un photographe espagnol qui participait à la première manifestation, le 19 janvier. Frappé à terre boulevard Beaumarchais (11e arrondissement de Paris) par des éléments alors affectés à la 31e compagnie d’intervention (les « CRS » de la Préfecture de police), l’homme, alors âgé de 26 ans, avait dû être opéré en urgence pour subir l’amputation d’un testicule.
Alors que deux fonctionnaires mis en cause dans ses blessures ont été identifiés très rapidement, « l’instruction est au point mort, avance son avocate, Lucie Simon. Mon client a d’abord décidé de rester en France pour concourir au mieux à l’enquête, croyant que si sa vie était détruite, ce qu’il avait subi contribuerait peut-être à faire avancer la justice ». Vingt-deux mois après les faits, l’institution judiciaire a annoncé, fin novembre, son intention de procéder à de nouveaux actes d’instruction. Lucie Simon n’en démord pas : « Une lenteur injustifiable. »
Saisie d’une dizaine de dossiers comme celui d’une « nasse » dans les rues Montmartre et Turbigo (1er arrondissement), le 19 mars, ou une double fracture de la jambe, le 13 avril, place de la Bastille (12e arrondissement) la Défenseure des droits, qui peut proposer des sanctions, n’est pas davantage en mesure de faire connaître les suites données à l’examen de ces procédures « en raison du secret » attaché à ses investigations. Pour la seule deuxième quinzaine du mois de mars 2023, la Défenseure avait enregistré près de quatre-vingts saisines au niveau national.
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