La guerre a comme l’odeur du neuf, au 126e régiment d’infanterie (RI) de Brive-la-Gaillarde. Pas de mornes façades, pas de fenêtres aux vieux linteaux de brique autour de la place d’armes de la caserne Laporte, où trône un imposant bison blanc, l’emblème de l’unité. Les bâtiments de chambrées des compagnies ont des airs d’immeubles tout juste sortis de terre, les bureaux du chef de corps pourraient être ceux d’une cité administrative, même les hangars, où dorment une quarantaine de blindés flambant neufs, ressemblent à s’y méprendre à des entrepôts Amazon.
Dans cette caserne de Corrèze, les chamboulements du monde apparaissent presque silencieux. Ce qui vrombit, ce sont les moteurs des Griffon, nouveaux véhicules de transport de troupes dont le régiment a été un des premiers à être doté, à partir de 2021, pour remplacer son vieux parc de VAB (véhicules de l’avant blindés), bruyants et conçus dans les années 1970. Si les balles sifflent, c’est sous les casques antibruit. Le débat sur l’envoi de militaires en Ukraine affleure à peine, en cette mi-mars, à l’issue d’un entraînement musclé, lors d’une brève pause cigarette, sous un auvent bombardé par la grêle.
Personne ne souhaite se risquer, de prime abord, à commenter les propos du président de la République, alors que, le 26 février, Emmanuel Macron a provoqué le malaise chez nombre d’alliés en annonçant brutalement que l’envoi de « troupes » en Ukraine ne devait pas « être exclu ». Ici, au 126e RI, le conflit ukrainien est au mieux « un décor un peu lointain », « une toile de fond », concèdent certains. « Le militaire reste toujours pragmatique, il se projette seulement d’objectif en objectif », tient à relativiser l’officier chargé de la communication, même si, comme un éléphant au milieu de la pièce, cette guerre est souvent là, dans les têtes et les discussions de chambrée.
Sur la carte des régiments de l’armée de terre, le 126e RI (1 200 soldats et 200 réservistes) fait figure de rescapé. Menacé à deux reprises de fermeture lorsque l’on croyait encore à la fin de la guerre froide, aux « dividendes de la paix », il a été sauvé par la magie de son ancrage corrézien et les grâces du président Jacques Chirac (1995-2007). Alors que beaucoup de casernes souffrent aujourd’hui d’infrastructures décaties, les « Bisons » ont bénéficié d’investissements de rattrapage inespérés. Leur isolement géographique, en plein « désert militaire », les a paradoxalement aidés. Et maintenant que l’armée de terre cherche à remonter en puissance, c’est un des régiments les mieux lotis de France.
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