
Cela se joue dans un mouchoir de poche. Les Moldaves étaient appelés, dimanche 20 octobre, à se prononcer lors de deux scrutins cruciaux. Alors que le premier tour de l’élection présidentielle a placé la présidente sortante, Maia Sandu, en tête, le référendum pour intégrer dans la Constitution le principe d’une future adhésion à l’Union européenne (UE) est, en revanche, beaucoup plus indécis.
Après une longue course en tête du non, le oui semblait prendre le dessus lundi matin (50,28 %), à quelques milliers de voix près, grâce au vote de la diaspora, après dépouillement de près de 99 % des bulletins.
Dans sa première réaction officielle, en pleine nuit, la présidente Sandu a dénoncé « une attaque sans précédent contre la démocratie » et promis de « ne pas plier ». « Des groupes criminels, agissant de concert avec des forces étrangères hostiles à nos intérêts nationaux, ont attaqué notre pays à coups de dizaines de millions d’euros, de mensonges et de propagande » pour « piéger notre pays dans l’incertitude et l’instabilité », a déclaré, visage grave, Mme Sandu devant la presse à Chisinau, la capitale.
Le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, a exigé des « preuves » concernant les « graves accusations » de la présidente pro-européenne moldave. Selon M. Peskov, « il est difficile d’expliquer l’augmentation des voix en faveur de [Maia] Sandu et de l’adhésion à l’UE » lundi matin. « Quiconque connaît les processus électoraux peut détecter des anomalies dans la hausse de ces votes », a-t-il insisté lors de son briefing quotidien. Le porte-parole russe a également dénoncé « une campagne électorale non libre », assurant que Moscou voit « combien de gens ne sont pas favorables à l’idéologie des actions de la présidente » sortante.
« Nous avons relevé que le vote avait eu lieu dans un contexte d’interférence et d’intimidation sans précédent de la part de la Russie (…) visant à déstabiliser le processus démocratique dans la république de Moldavie », a estimé Peter Stano, porte-parole de la Commission européenne, lors d’un point presse à Bruxelles.
Duel à venir contre un candidat soutenu par les socialistes prorusses
Maia Sandu, qui a tourné le dos à Moscou après l’invasion de l’Ukraine et a porté à Bruxelles la candidature de son pays, avait convoqué le référendum pour valider sa stratégie et déterminer le destin de cette ancienne république soviétique de 2,6 millions d’habitants.
Car même si le « oui » l’emporte finalement de justesse, ce résultat, sans remettre en cause les négociations d’adhésion avec les Vingt-Sept, « affaiblit en quelque sorte l’image pro-européenne de la population et le leadership de Maia Sandu », commente pour l’Agence France-Presse le politologue français Florent Parmentier, spécialiste de l’Europe de l’Est.
Parallèlement, la cheffe de l’Etat sortante est arrivée en tête du premier tour de la présidentielle avec près de 42 % des voix. Elle affrontera, le 3 novembre, Alexandr Stoianoglo, 57 ans, soutenu par les socialistes prorusses, qui a récolté plus de 26 % des suffrages, selon les résultats partiels.
Système « sans précédent » d’achat de votes
Corruption, désinformation : la police a mené, ces derniers mois, 350 perquisitions et a procédé à des centaines d’interpellations de suspects accusés de vouloir perturber le processus électoral pour le compte de Moscou. Un système « sans précédent » d’achat de votes a été révélé, visant jusqu’à un quart des électeurs attendus aux urnes dans le pays.
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D’après le groupe de réflexion WatchDog, la Russie a dépensé une centaine de millions de dollars pour influencer le résultat du scrutin. Avec, à la manœuvre, l’oligarque Ilan Shor, réfugié à Moscou après une condamnation pour fraude. Sur les réseaux sociaux, il a ironisé sur « la déroute » de Maia Sandu et son « échec lamentable ». Le Kremlin a « catégoriquement » rejeté les accusations d’ingérence.
« Ce vote va déterminer notre destin pour de nombreuses décennies », avait déclaré la présidente, Maia Sandu, lors de son vote, invitant tous les citoyens, y compris l’importante diaspora, à se déplacer. « C’est la volonté du peuple moldave » qui doit s’exprimer, « pas celle d’autres personnes, pas l’argent sale », a insisté la candidate.
Première femme à occuper, en 2020, les plus hautes fonctions dans cet Etat situé entre l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et la zone d’influence russe, cette économiste de 52 ans à la réputation d’incorruptible est devenue une personnalité européenne de premier plan. Face à elle au premier tour, il n’y avait pas de poids lourd mais une ribambelle de dix candidats, pour la plupart considérés comme étant plus ou moins liés à Moscou derrière des discours de « neutralité ». Certains s’exprimant en russe, en plus de la langue officielle qu’est le roumain.
Malgré son avance, Mme Sandu ne peut crier victoire pour le second tour. M. Stoianoglo peut compter sur les réserves de voix de nombreux petits candidats. Pendant la campagne, cet homme à l’allure sévère a appelé à « restaurer la justice » devant un pouvoir prêt, selon l’opposition, à brimer les droits. Se disant favorable à une politique étrangère « équilibrée » renouant avec la Russie, il s’est abstenu au référendum.