C’est une histoire d’amour au long cours, « au sens très large », précise Laurent, le survivant des deux. Longtemps, il s’est appelé Girault, comme ses parents biologiques. À Ingrandes-le-Fresne-sur-Loire (Maine-et-Loire), où ce grand rêveur, artiste et écrivain, est installé depuis peu, on le connaît sous le nom de Girault-Conti. Conti comme Anita Conti, sa mère adoptive. En 1997, quand elle rend son dernier souffle à l’âge de 98 ans, il en a 42. Ils se quittent sur la promesse de se retrouver, sans « incident chronologique » cette fois, dans un espace-temps éternel où l’âge n’existe pas. Il promet aussi de transmettre son œuvre à la postérité.
Première femme océanographe, écologiste précoce, moins connue que le commandant Cousteau mais bien plus intrépide, celle qui était surnommée « la dame de la mer » pour ses récits épiques sur les terre-neuvas et les pêcheurs de Guinée, a laissé des milliers de photos, des poèmes et des livres. A la mort d’Anita Conti, après dix ans en immersion avec elle, il décide d’engloutir le reste de sa vie dans la mémoire de la vieille dame de la mer. « Je ne vis pas dans le passé, occupez-vous en », lui disait-elle souvent. Ce serait sa feuille de route.
En 1986, presque trentenaire et passionné d’aventures lointaines, Laurent Girault tangue entre la peinture et le journalisme. Un soir d’hiver, lors d’une soirée sur une péniche amarrée sur la Seine, près de la Concorde, il croise une « fée » d’un mètre cinquante, en blouson Adidas, lavallière et toque en fausse fourrure. Il est venu célébrer la sortie d’un livre qu’il a illustré, Les Enfants du capitaine Nemo (de Jacques Rougerie et Hugo Verlomme, aux éditions Arthaud), espérant enfin un succès. Elle le harponne au milieu de la fête. « Savez-vous que les mots “planète” et “plancton” ont la même racine ? Ce sont des objets en errance dans l’espace et la mer, comme nous, les humains. »
Les trésors d’une vie de voyages
Dès qu’il plonge dans les yeux gris-bleu pétillants, il sait que sa vie va changer. Pour Anita Conti, c’est une évidence. « On reconnaît toujours l’autre, car ce qu’il a, on l’a déjà en soi », a-t-elle énoncé tranquillement. « Leur aventure a démarré instantanément, se souvient Jacques Rougerie, l’architecte et académicien des Beaux-Arts qui les recevait sur sa péniche. Laurent a été fasciné par Anita, qui avait un charisme extraordinaire. A partir de ce jour, il lui a consacré toute sa vie. » Laurent et Anita sont repartis à pied dans la nuit parisienne, minuscule silhouette arrimée au bras d’un grand jeune homme filiforme. Elle trotte en papotant, joyeuse. Elle a 87 ans, il lui donne à peine la soixantaine.
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