LETTRE DE VIENNE
Avec son visage d’as de la finance, regard perçant et costard-cravate, il tranche dans la liste des personnes les plus recherchées par la police allemande. Disparu dans la nature depuis juin 2020, Jan Marsalek, ancien flamboyant numéro deux de l’entreprise de paiement en ligne Wirecard, placée en faillite après des fraudes comptables considérables, trône toujours tout en haut des cibles de la police criminelle, officiellement recherché pour « escroquerie en bande organisée portant sur des milliards d’euros ».
Mais si cet Autrichien de 43 ans est autant recherché, c’est aussi parce qu’il était devenu un espion de haut vol à la solde de la Russie. « C’était un de leur très très très gros actif », estime même Christo Grozev, journaliste d’investigation spécialiste de l’espionnage russe, qui piste depuis trois ans et demi l’incroyable parcours de cet espion-homme d’affaires dont la trace s’est perdue le 19 juin 2020 sur un petit aérodrome au sud de Vienne. Quelques heures après la mise au jour de l’ampleur des fraudes commises au siège de Wirecard, à Munich, il embarque dans un jet privé. Destination : la Biélorussie.
Depuis, les révélations successives sur son profil dépassent à chaque fois le contenu déjà palpitant du documentaire que Netflix a consacré à Wirecard en 2022. Dans un nouveau volet publié vendredi 1er mars, Grozev et ses collègues de l’hebdomadaire Der Spiegel révèlent par exemple que Marsalek aurait commencé à travailler pour le GRU, les services de renseignement russes, après avoir entamé en 2013 une relation sentimentale avec une ancienne actrice de films de second rang, Natalia Zlobina. Zlobina, qui a joué le rôle d’une espionne à 13 ans dans un navet américain intitulé Red Lips II (Donald Farmer, 1996), aurait basculé dans le véritable espionnage et « accroché » Marsalek en le présentant à ses contacts au sein du GRU.
Dirigeant d’une des entreprises les plus en vue du numérique allemand, Marsalek avait accès à de nombreuses données financières sensibles. Mais il aurait surtout cherché à collaborer avec le renseignement militaire russe par fascination pour le monde de l’espionnage. « Tous ceux qui l’ont bien connu affirment qu’il voulait être plus que riche : il voulait perturber la marche du monde, affirme Grozev. Grâce à Wirecard, il avait accès à des données et il avait des compétences potentiellement utiles à n’importe quel service de renseignement : il les a offerts aux Russes car ceux-ci pouvaient lui proposer des choses qu’aucun autre service ne pouvait lui offrir. »
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