
Rire éclatant, intelligence sereine, gravité soudain grave, 1,78 mètre sans les talons hauts qu’elle affectionne, tresses célèbres à l’écran comme à la ville, journaliste sérieuse sur M6 durant dix ans, Kareen Guiock Thuram, est, mardi 14 mai, au programme du festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés, organisé jusqu’au 20 mai. Ni une présentatrice vedette qui tenterait sa chance dans la chanson ni une nouvelle venue : « Ni-ni », sans doute, « Je suis une vieille chanteuse qui débute. »
Qu’elle joue entre musiciens antillais (Mario Canonge, pianiste) ou qu’elle enchante la critique avec Nina, en 2023, son album en hommage à Nina Simone (1933-2003), mis en scène par Dominique Fillon (pianiste), Kareen Guiock Thuram est d’une authenticité désarmante : orchestration, tempo, phrasé, voix sur le rasoir de l’émotion, jamais d’excès, Nina remporte un vif succès. Célébrer Nina Simone relève de la gageure. Kareen Guiock Thuram se lance avec autant de rigueur que de pudeur. Sa fantaisie (Mr Bojangles, Mississippi Goddam), sa délicatesse sur les intouchables titres de Nina Simone (I Put a Spell on You, Little Girl Blue, Ne me quitte pas) signent une subtilité de l’interprétation très rare.
Née à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) en 1977, fille d’une enseignante guadeloupéenne et d’un père martiniquais, elle suit sa mère à Apatou (Guyane), juste à côté de Saint-Laurent-du-Maroni (compter quatre heures de pirogue) : « Les gamins parlaient tak-tak, tout était effrayant, c’était un monde merveilleux. » Poursuivant ses études au Lycée des droits de l’homme, à Petit-Bourg (Guadeloupe), elle obtient la meilleure note du pays au bac. Au passage, « j’ai appris à parler créole ». Danser sur le gwoka, ça ne s’apprend pas : c’est là – comme respirer ou être belle.
Une rigueur aimable
Cap sur l’hypokhâgne du lycée Chaptal (Paris 8e). Gros changement de ciel et de rythme scolaire. Elle poursuit ses études en philosophie à Nanterre et rédige un mémoire (François Laruelle, directeur) : « L’Expressivité du corps. » Rapport à la France ? « Un rapport contrarié… un rapport d’amour qui n’est pas partagé. » Le racisme ? « Bien sûr, j’ai eu à le subir. Mes parents m’avaient appris que ça existait. L’éprouver, c’est autre chose. Du folklore à la blessure, sans compter l’infini des micro-humiliations de tous les jours. Ce qu’on ne sait pas, c’est que ça vient vous piquer à vif : la peau se contracte, la gorge se serre, on est sans répartie, dans cette impuissance du moment… Les gens ne se rendent pas compte que ce n’est pas un plaisir d’être susceptible. »
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