« La culture ne devrait pas être la cerise sur le gâteau »

Françoise Barbe-Gall est historienne de l’art et conférencière dans les musées nationaux. Elle a enseigné l’histoire de l’art moderne et contemporain à l’Ecole du Louvre, entre 1982 et 2011, et donne de nombreuses conférences en ligne. Elle est également l’autrice de nombreux livres sur la peinture, notamment Comment regarder un tableau (Editions du Chêne, 2021), Comment parler d’art avec les enfants (Le Deuxième Horizon, 2017) et Entrer dans un tableau (Le Deuxième Horizon, 2018).

Du 29 avril au 27 mai, Françoise Barbe-Gall proposera un cours du soir au Monde sur l’histoire de l’art et l’apprentissage du regard.

Face à une œuvre d’art, le grand public se sent parfois démuni. Comment regarder un tableau lorsque l’on n’est pas connaisseur ?

La plupart des gens me confient leur difficulté à comprendre l’art moderne et, surtout, contemporain. Ils ont le sentiment que ces œuvres ne se rattachent à rien de ce qu’ils connaissent, ce qui est légitime, car c’est un art qui fonctionne souvent davantage sur le choc que sur la contemplation. Cependant, il faut faire confiance à ce que l’on voit et se demander pourquoi on reçoit une œuvre de telle ou telle manière. Par exemple, on peut trouver qu’un tableau de Francis Bacon (1909-1992) n’est pas séduisant, mais il est intéressant de comprendre pourquoi : pourquoi nous donne-t-il cette impression ? Est-ce voulu ? Est-ce le sujet qui nous repousse ou l’œuvre en elle-même ? J’encourage le public à être actif devant une œuvre et à ne pas s’arrêter à une réaction première : c’est beau, c’est laid ; j’aime, je n’aime pas, etc.

Une autre façon de comprendre un tableau, c’est de s’intéresser à son histoire…

Une œuvre ne naît pas de rien. Un tableau a toujours une raison d’être. Il ne s’appuie pas seulement sur l’émotion et la volonté de l’artiste. Il y a une histoire derrière chaque œuvre, une généalogie entre les modernes et les anciens. En la décryptant, on peut percevoir des échos, des réponses, un héritage, une filiation, et même des révoltes. Alors, bien sûr, regarder un tableau met en jeu la sensibilité de chacun. Mais plus on compare un tableau avec d’autres images, plus on le resitue, plus on le contextualise, mieux on le voit. C’est un apprentissage qui prend du temps. Quand vous cultivez un jardin, vous apprenez aussi la patience. La récolte ne se fait pas tout de suite. Avec l’art, c’est pareil.

Devrait-on acquérir cet apprentissage du regard dès le plus jeune âge, à l’école, par exemple ?

Aujourd’hui, les occasions de découvrir l’art sont presque infinies. Il y a des expositions, des émissions télévisées, des livres… Mais voir n’est pas forcément comprendre l’art. Je crois qu’il serait essentiel d’apprendre à le regarder dès le plus jeune âge, comme on apprend à lire et à compter. Développer son regard sur la peinture, c’est aussi mieux voir ensuite la photo, le cinéma, l’image publicitaire. Le monde « visuel » devient beaucoup plus déchiffrable. Aujourd’hui, la culture est de plus en plus assimilée à un loisir. Pourtant, elle est fondamentale pour appréhender le monde. Si on prend l’exemple d’un gâteau, la culture ne devrait pas seulement être la cerise sur le gâteau, elle devrait être la farine !