
Même si l’une des meilleures spécialistes du surréalisme belge est l’historienne d’art française José Vovelle (sa thèse sur Le Surréalisme en Belgique a été publiée en 1972, aux Editions André de Rache), la vitalité de ce mouvement outre-Quiévrain demeure méconnue en France. Une exposition foisonnante et passionnante à Bruxelles, dans l’étonnant bâtiment du Palais des beaux-arts/Bozar dessiné par Victor Horta, peut y remédier. Elle est complétée, aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique, par une autre exposition intitulée « Imagine ! 100 ans de surréalisme international » : le mouvement a en effet été fondé par André Breton à Paris en 1924.
Cette dernière est coproduite avec le Centre Pompidou, la Kunsthalle de Hambourg, la Fundacion Mapfré à Madrid et le Philadelphia Museum of Art – lequel a prêté pour l’occasion un des chefs-d’œuvre de Dali, la Construction molle aux haricots bouillis (prémonition de la guerre civile) de 1936 –, chaque pays donnant, à partir d’un socle commun, sa propre vision du surréalisme. Ainsi, à Bruxelles, l’accent est mis sur les précurseurs belges, principalement symbolistes, Fernand Khnopff (1858-1921), notamment. Nous y reviendrons plus longuement lorsqu’elle sera présentée à Paris, en septembre.
Groupes bruxellois et parisiens
Le volet proprement belge que propose Bozar sous le titre, inspiré de Marcel Mariën, « Histoire de ne pas rire. Le surréalisme en Belgique » raconte « un rire moralisateur, un rire grave », dit son commissaire, Xavier Canonne, directeur du Musée de la photographie de la Fédération Wallonie-Bruxelles à Charleroi, ancien élève de José Vovelle, qui a lui-même publié en 2006 un important ouvrage sur le sujet. En 260 peintures, dessins, collages, manifestes, revues et une foultitude de tracts corrosifs dont les Belges, le poète – et biochimiste – Paul Nougé (1895-1967) en tête, étaient friands, elle retrace l’histoire d’un mouvement qui est presque exactement contemporain de sa version parisienne : c’est en effet également en 1924 que Nougé regroupe autour de lui des écrivains et des artistes (y compris des musiciens tels André Souris ou E. L. T. Mesens) comme Camille Gœmans, Marcel Lecomte, René Magritte ou Louis Scutenaire, écrivain et avocat qui aimait bien les voyous.
Les premières salles de l’exposition montrent que le mouvement a germé sur un terreau déjà favorable : le dadaïsme – en la personne de Paul Joostens – , le constructivisme – auquel s’essaie un temps le jeune Magritte avec Victor Servranckx et Pierre-Louis Flouquet – y bourgeonnaient déjà lorsque Nougé, Lecomte et Gœmans publient en 1924 les vingt-deux tracts de la série Correspondance. Autant de brûlots, dans la mesure où ils s’adressent – ils leur sont envoyés par courrier – à des écrivains célèbres dont ils pastichent le style pour mieux ridiculiser leur désir de gloire littéraire. A la même époque, Magritte découvre l’œuvre de Giorgio De Chirico, comme le fera Paul Delvaux dix ans plus tard. Il en est bouleversé, et perdu pour le constructivisme…
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