Livre. C’est l’une de ces aberrations dont la mondialisation et la course au profit ont le terrible secret que dénonce Larissa Mies Bombardi : « Les agrotoxiques [pesticides] interdits en Union européenne (mais produits en UE) reviennent sur son sol par le biais des aliments qu’elle importe et consomme, et qui proviennent des pays vers lesquels sont exportés ces agrotoxiques, comme le Brésil. »
A tel point, poursuit la géographe, que « certaines substances perturbant le système endocrinien sont donc trouvées dans des aliments disponibles sur les marchés européens (pomme, haricot sec, riz, poire, piment, mangue, etc.) : la boucle du cercle d’empoisonnement est ainsi tristement bouclée, mettant systématiquement en danger la santé de la population européenne ».
Dans Pesticides. Un colonialisme chimique ((Ed. Anacaona, 106 pages, 10 euros), un essai coup de poing, la chercheuse revient, chiffres à l’appui, sur ce qui a tout d’un scandale sanitaire. Alors que l’UE est devenue « l’entité mondiale qui a la législation la plus restrictive concernant les agrotoxiques, grâce à son règlement spécifique appelé Reach », elle est aussi, « avec 13,6 milliards de dollars [12,5 milliards d’euros] vendus à l’étranger en 2020 », le premier producteur exportateur de pesticides – y compris ceux dont elle interdit l’utilisation sur son territoire –, devant la Chine (8 milliards de dollars) et les Etats-Unis (4,5 milliards de dollars).
Mise en danger des populations
Premier consommateur de pesticides au monde, le Brésil utilise 90 % de ces agrotoxiques pour cinq cultures qui ne servent que très peu à l’alimentation humaine (le soja, le maïs, le coton, les pâturages et la canne à sucre), alors que les « cultures agricoles considérées comme les piliers du régime alimentaire brésilien – riz, haricots noirs (feijao) et manioc » sont délaissées.
Et c’est là un autre paradoxe soulevé par la géographe brésilienne, qui a dû s’exiler en Europe sous la présidence Bolsonaro : non seulement l’industrialisation de l’agriculture brésilienne n’a pas contribué à faire reculer la faim, qui « a plus que doublé entre 2013 et 2020 », mais elle s’est traduite par une mise en danger des populations, notamment paysannes et autochtones. Mise en danger sanitaire (augmentation du nombre de personnes intoxiquées et malades), écologique (déforestation, recul de la biodiversité, y compris au cœur même de l’Amazonie), ainsi qu’à travers les expropriations forcées et la recrudescence de meurtres de « défenseurs et de défenseuses des droits socio-environnementaux ».
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