A l’approche du discours de politique générale de François Bayrou, mardi 14 janvier, les tractations s’intensifient sur les retraites et le budget, les socialistes demandant une suspension de l’application de la mesure des 64 ans pendant six mois, le temps de sa renégociation, comme prix de leur non-censure.
Depuis plusieurs jours, et à la fureur de Jean-Luc Mélenchon qui a dénoncé « leur servilité », les socialistes, les écologistes et les communistes discutent avec le gouvernement du projet de budget 2025 et de la réforme des retraites. Avec l’objectif de trouver « un chemin » qui leur permettrait de ne pas voter la motion de censure que La France insoumise (LFI) a l’intention de déposer après la déclaration de politique générale du premier ministre.
« Si nous sommes entendus, et c’est une question de jours, voire d’heures, sur les propositions que nous avons faites, il n’y aura pas de censure portée par les socialistes », a confirmé vendredi le chef des sénateurs PS, Patrick Kanner, sur Franceinfo.
La principale difficulté porte, encore et toujours, sur la réforme des retraites de 2023, dont la gauche exige la remise en cause. A défaut d’une « abrogation », les socialistes réclament une « suspension » de six mois de l’application du report progressif de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans, le temps d’une renégociation de la réforme.
« Nous disons oui à M. Bayrou sur sa proposition de revenir dans une négociation globale avec les formations politiques, les syndicats et le patronat. Cette négociation de six mois pourrait commencer très vite et, pendant ce temps-là, nous demandons une suspension », a déclaré M. Kanner. Cette négociation permettrait de « retravailler la mesure d’âge de 64 ans » et d’intégrer des « évolutions positives » sur « les carrières longues, les métiers pénibles, les carrières hachées », a expliqué M. Kanner.
« Un couteau dans le dos du programme du NFP »
Une prise de position qui a fait vivement réagir du côté de LFI. « Sidérant. Le Parti socialiste abandonnerait donc non seulement l’abrogation de la retraite à 64 ans mais va jusqu’à envisager la retraite à point de Bayrou », a posté vendredi, sur X, Mathilde Panot, la cheffe de file des députés « insoumis ». Manuel Bompard, le coordinateur national de LFI, a quant à lui estimé que « c’est un couteau dans le dos du programme du NFP ».
Jean-Luc Mélenchon a également accusé le PS de vouloir abandonner la retraite par répartition et passer à un système de retraite par points. « Dans le vocabulaire simple des militants politiques et syndicaux, dire “passer à un autre système” à propos des retraites, c’est l’équivalent d’une gifle en pleine figure », a dénoncé le tribun « insoumis » dans une note de blog. « La méthode des socialistes est choquante parce qu’ils n’ont prévenu aucun d’entre nous de leur virage sur l’aile à ce sujet », a-t-il souligné.
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La réforme des retraites, entrée en vigueur le 1er septembre 2023, instaure notamment un recul progressif de l’âge minimum de départ de 62 à 64 ans, au rythme de trois mois supplémentaires par génération. Actuellement, cet âge est à 62 ans et six mois pour les personnes nées en 1962. Reste à savoir jusqu’où le gouvernement est prêt à aller.
« La discussion est ouverte. Elle se tiendra toute la journée [vendredi] encore. Le discours de politique générale du premier ministre est mardi. Jusqu’à lundi soir, chacun travaille pour trouver le plus petit dénominateur commun », a répondu la ministre du travail, Catherine Vautrin, sur CNews/Europe 1. La ministre ne veut pas parler de suspension « parce que nous n’en sommes pas encore là dans la discussion ».
Les députés RN déclarent « rester sur leur faim »
De leur côté, des députés du Rassemblement national, consultés vendredi par les ministres de Bercy sur le budget 2025, ont dit « rester sur leur faim », reprochant à la gauche « une escroquerie politique » en faisant croire à la possibilité d’obtenir une suspension de la réforme des retraites. « On ne voit pas bien où ils veulent aller », a déclaré le vice-président du RN, Sébastien Chenu, après un entretien d’environ une heure avec les ministres Eric Lombard (économie) et Amélie de Montchalin (comptes publics).
Le député a souligné que les ministres n’avaient pas souhaité « explorer » des sujets défendus par le parti d’extrême droite, tels que la réduction de la contribution française à l’Union européenne ou la refonte de l’aide médicale d’Etat. Il a toutefois évoqué de « petites victoires », comme l’engagement du gouvernement à ne pas désindexer les retraites sur l’inflation. « Pour le reste, il y a encore beaucoup à écrire pour qu’on puisse trouver un motif de réassurance ou d’assurance sur ce budget », a-t-il dit, laissant planer la menace d’une censure.
« Nous avons écouté, nous avons dialogué », s’est félicité le ministre de l’économie, Eric Lombard, vendredi soir en conclusion des échanges menés à Bercy, saluant un dialogue avec les forces politiques du Parlement qui « permettra d’avancer » sur le budget 2025. Il a souligné que « la synthèse » des échanges serait transmise samedi au premier ministre, François Bayrou.
Le débat sur les retraites porte avant tout sur le coût d’une remise en cause de la réforme alors que le gouvernement souhaite un effort budgétaire d’environ 50 milliards d’euros cette année. Selon la Caisse nationale d’assurance-vieillesse, abroger le recul de l’âge de la retraite coûterait 3,4 milliards d’euros en 2025 et près de 16 milliards en 2032. Le PS propose de mettre à contribution le Fonds de réserve des retraites créé à la fin des années 1990, à hauteur de 2 à 3 milliards d’euros cette année.
Et le gouvernement ne doit pas non plus s’aliéner le soutien des macronistes qui avaient défendu la réforme en dépit des manifestations massives des opposants. « Notre position, c’est qu’on ne veut pas toucher à la réforme des retraites », a répété l’ancien ministre du budget Thomas Cazenave, vendredi, sur TF1. « Ni suspension, ni abrogation : quand on vit longtemps, on travaille longtemps », a renchéri, sur X, le député Renaissance Mathieu Lefèvre.